Mon boucher est un poète
« Mon boucher est un artiste », scande un slogan. Le mien, un vrai Marseillais, est aussi un peu poète. Un passionné qui s’est adapté à la concurrence de la grande distribution et qui regarde avec tristesse son métier disparaître. Parole de travailleur.
« Le premier truc que je fais le matin, c’est un bon steak. Quand on me livre la viande, clac, je coupe un morceau. Et je me dis : "Ah, c’est extraordinaire ! Mais ça manque d’un peu de maturation, je vais la garder un peu, encore deux jours, trois jours." C’est ça qui me fait plaisir […].
Le métier, je l’ai appris à la place Sébastopol (4e arr. de Marseille, Ndlr). Elle y est toujours, la boucherie. J’ai fait mes trois ans d’apprentissage. J’ai travaillé à Marseille, après dans les Alpes-Maritimes, dans le Var. J’ai appris les découpes des différentes régions. Parce que chaque région a ses découpes. Au début quand j’ai commencé le métier, à Marseille, c’étaient de gros feignants en boucherie. On ne défaisait pas les pièces. Alors que dans le Nord, une pièce elle se défait en plusieurs parties. La tende de tranche, elle se défait en cinq morceaux […].
Boucher, c’est un métier complet […] Il y a cinquante ans en arrière, un boucher ne faisait que de la boucherie. Il ne vendait que de la viande : boeuf, agneau… La volaille c’était ailleurs, le charcutier faisait le cochon. Il a fallu se former […] J’ai aussi fait des stages avec des charcutiers pendant un an pour apprendre à cuire les jambons, à faire les pâtés, etc. C’est une nécessité face à la concurrence des supermarchés […].
Ça me rend triste, parce que c’est un métier qui est appelé à disparaître. Les boucheries ferment, parce qu’il n’y a pas de repreneurs. Les jeunes, on en trouve très peu, on a dévalorisé les métiers manuels. Et les boucheries des supermarchés, c’est de la conserve ! Les viandes dans les barquettes me rendent triste, il n’y a rien d’humain, de chaleureux là-dedans. Le boucher reçoit directement les carcasses qui ont été désossées dans des collectivités, par ce qu’on appelle des casseurs, il ouvre le sac et il met en vitrine. Il ne découpe plus rien, ne choisit plus rien, ne fait rien en fait. Il ne sait pas ce qu’il y a dans le sac. A la fin, on aura tous les mêmes viandes. C’est comme les marques […].
Mais quand j’étais jeune, je ne voulais pas faire ça. Je l’ai fait parce qu’il fallait travailler et que la vie est comme ça. Mais mon rêve, c’était d’être coiffeur pour dames ! »
Christophe Massot anime sur Radio Grenouille « Parole au travail », le 1er vendredi du mois à 17h.
Cet entretien a été réalisé début 2016. Mon boucher est depuis à la retraite mais son magasin du cours Joseph Thierry (1er arr.) a été repris.
Propos recueillis par Christophe Massot et mis en forme par Jean-François Poupelin.
Chronique publiée dans le Ravi n°143 en septembre 2016
Christophe Massot anime sur radio Grenouille « La parole au travail » le 1er vendredi du mois à 17 heures.