Les pouvoirs publics confinent toujours leur solidarité
C’était la première annonce de Jean-Claude Gaudin pour répondre à la crise sociale qui frappe les habitants les plus fragiles de Marseille depuis le début du confinement. Le 6 avril dernier, après trois semaines de silence, le maire LR de la deuxième ville de France promettait d’attribuer une aide d’urgence de 160 euros par enfant aux 1 500 familles bénéficiant de la cantine gratuite, autant dire les très pauvres. Deux mois plus tard, à peine 240 familles l’ont reçue.
Si les services de la ville ont dû composer avec des outils touchés par le «rançongiciel» qui a frappé la municipalité le 14 mars, ce désastre reste symbolique de vingt-cinq ans de gaudinisme en général et de l’attitude des collectivités dirigées par la droite locale – ville, métropole, département – depuis le début du confinement en particulier. Elles se sont en effet largement reposées sur l’État, les associations et les multiples collectifs citoyens pour répondre aux besoins des plus fragiles. La palme revenant au département, présidé par Martine Vassal, héritière de Jean-Claude Gaudin et candidate à sa succession.
Martine n’aide pas les pauvres
Depuis trois mois, elle a délaissé la solidarité dont elle est a la compétence pour se concentrer sur le soutien à l’économie et à la distribution de masques. « On a un espoir avec la reprise des emplois saisonniers, mais on n’a aucun indice d’amélioration et on reste inquiets pour le second semestre », expliquait pourtant début mai Gérard Gros, le président de la Banque alimentaire 13. Cette dernière a vu ses besoins croître de 50 % et distribue depuis le début de la crise l’équivalent de 200 000 repas chaque semaine. Son maximum. « Quand tu vois les capacités de mobilisations informelles, tu te dis que les élus de Marseille ne méritent pas leurs électeurs », grince une assistante sociale d’un chantier d’insertion.
Délégué régional de la Fondation Abbé Pierre, Florent Houdmon préfère tempérer : « C’est compliqué de dire que rien n’a été fait alors que des centaines de milliers d’euros ont été mis sur la table (1), que Marseille a ouvert sa cuisine centrale (2) et augmenté les crédits de ses services sociaux, et fait des choses que l’on réclame depuis quinze ans, installer des points d’eau dans les bidonvilles ou ouvrir des douches pour les SDF. » Mais il reconnaît : « Les réponses sont beaucoup plus faibles qu’ailleurs alors que les besoins sont beaucoup plus importants. » Et de s’inquiéter d’une « deuxième vague » avec « des impayés de loyers » qui se multiplient.
Il n’y a pas que dans les Bouches-du-Rhône que les réponses « ne sont pas à la hauteur ». À Oraison, un village des Alpes-de-Haute-Provence, il a fallu que les bénévoles de l’épicerie sociale tirent la sonnette d’alarme pour que le maire réagisse. Pire, la préfecture semble tout aussi absente. « On nous a uniquement demandé de leur fournir nos dépenses supplémentaires et ce dont on avait besoin en matériel de protection », explique Dominique Vignerie, une des bénévoles et ancienne élue d’opposition proche des Insoumis. Pourtant en fin de confinement, plusieurs nouvelles familles sont venues frapper à la porte de l’épicerie : « Elles avaient épuisé leurs réserves… »
« Une perspective sociale très sombre »
Même situation dans le Var, où la solidarité institutionnelle a été très timide. Exemple du pire : fin mars, la direction de l’action sociale de proximité du conseil départemental a annoncé à ses partenaires la suspension « des secours d’urgence pour les personnes isolées ». Sous prétexte de la recherche de nouvelles « réponses » et du relais pris par l’État et les « bénévoles de la distribution alimentaire ». Pourquoi se gêner ?
Comme dans le reste de la région, la prise en charge des sans-abris, notamment ceux habituellement hors des radars, a été et reste par contre bien gérée. « Sur les 280 hébergés en hôtel, il n’en reste plus beaucoup, et malgré la deadline du 25 juillet on sait que personne ne sera remis à la rue », affirme François Maturin, le directeur de l’Avaf (Association varoise d’accueil familial). Qui regrette quand même « le refus de la préfecture d’assurer leur soutien social et éducatif » et la réduction des crédits réduits pour la suite des accompagnements. Et de dénoncer : « On a pu constater le fossé entre la prise en charge du sanitaire et du social. »
Finalement, c’est du côté des Alpes-Maritimes qu’est venue la bonne surprise. « Une terre de contrastes », sourit Jean Stellittano, le secrétaire général du Secours populaire des Alpes-Maritimes. Il a vu le nombre de bénéficiaires de la fédération passer de 5 à 10 000 depuis le début du confinement et les pouvoirs publics réagir très fortement. S’il prédit « une perspective sociale très sombre » et regrette que « la solidarité [ne soit] pas une priorité du gouvernement », il se félicite par contre de la réactivité de Christian Estrosi, le maire LR de Nice, et de son camarade et homme fort du département, le député Éric Ciotti. Le premier a par exemple ouvert sa cuisine centrale dès les premiers jours du confinement, sans filtrer les bénéficiaires.
Mais tout le monde ne partage pas cet enthousiasme. « Estrosi est toujours dans la réaction, et il est encore en campagne électorale », persifle la militante niçoise Térésa Mafféis. L’ancien ministre a aussi imposé un couvre-feu dans les quartiers populaires de Nice. On ne se refait pas !
1. Près de 3 millions d’euros selon un communiqué du 29 mai de la préfecture, qui n’a pas répondu à nos sollicitations.
2. Comme pour l’aide aux familles bénéficiant de la cantine gratuite, la mairie n’a réagi que sous pression de collectifs citoyens et de son opposition.