Paca voit de plus en plus la vie en rosé
Quand, il y a une dizaine d’années, le Ravi mettait son nez pour humer le parfum de l’économie viticole régionale, ça ne sentait pas bon. Le secteur était en crise : baisse importante de la consommation française, surproduction, concurrence internationale, normes… O miracle ! Aujourd’hui, de l’avis de nombreux professionnels, tout irait pour le mieux. En partie grâce à une couleur à laquelle un sudiste ne peut échapper : le rosé. En 2015, 90 % des 160 millions de bouteilles Vins de Provence (1) commercialisées l’étaient en rosé ! « Un vin clair sans sucre, aromatique et avec cette image de soleil et de vacances », consent Michel Couderc, responsable économie au Conseil interprofessionnel des vins de Provence.
Plébiscité par les néophytes, surtout en période estivale, le vin rosé est la seule couleur qui continue en France à progresser : sa consommation a triplé en 25 ans et il représente un tiers des ventes. Un secteur qui pèserait au niveau des vins de Provence 20 000 emplois et générerait en tout 1,43 milliards d’euros de chiffre d’affaires. « Le rosé a explosé car la qualité est là. Il n’y a plus de mauvais rosé comme il y a 30 ans qu’on corrigeait avec du soufre. Et c’est très facile à boire », note Jean-François Rovire, œnologue et chef du groupe vins Système U au niveau national. Le rosé de Provence occupe en France la première place en volume de la couleur avec 40 % des ventes. Un marché qui a séduit beaucoup de vignerons opportunistes mais qui aurait tendance à se stabiliser au niveau mondial. Est-ce inquiétant d’avoir mis ses œufs dans le même panier ? « On y réfléchit c’est vrai », répond sobrement Thierry Couderc.
Bonbons au rosé
Le secret provençal ? Cette image festive, estivale et tout le marketing qui en découle : le couple Brad Pitt et Angelina Jolie ont une cuvée Minuti à leur nom, un vignoble varois s’est même mis à commercialiser des bonbons au rosé… « Ce vin doit son goût plus à son mode de vinification très technique, sur la maîtrise du froid par exemple, qu’au cépage, explique l’œnologue. Ce qui fait que leurs profils sont très proches. Distinguer un rosé provençal AOC (appellation d’origine contrôlée) ou IGP (Indication géographique protégée, un cran en-dessous) est très difficile… »
La filière viticole régionale doit également son salut au développement des exportations. Pour les vins de Provence, elles ont presque triplé en 10 ans (31 millions de bouteilles en 2015) avec des prix doublés entre 2007 et 2015. 20 % des ventes partent à l’export, surtout aux Etats-Unis et en Angleterre, ce qui en fait « le leader des rosés de qualité dans le monde ». En Vaucluse, où le pinard est un secteur économique clé, l’export pèse de plus en plus : de 25 % il y a 10 ans, les vins de la vallée du Rhône vendus à l’étranger représentent 35 % aujourd’hui. Essentiellement vers les mêmes clients, même si on drague l’Asie et surtout la Chine, où la concurrence est rude. « Nous formons des prescripteurs, ici et là-bas : sommeliers, restaurateurs… Et nous communiquons beaucoup envers les consommateurs via le numérique », insiste Arnaud Pignol, délégué général d’InterRhône, l’interprofession des vins de la vallée du Rhône.
Un autre phénomène, toujours selon le délégué général, venu renforcer la santé de la filière : le rapprochement des acteurs économiques, notamment en coopérative. « Cela a permis de réaliser des économies, d’optimiser les moyens de production, humains, de faire appel à plus d’œnologues, se félicite Arnaud Pugnol. Tout ça permet de se projeter à plusieurs pour aller chercher des marchés. » Quitte à courir vers une industrialisation et une uniformisation du vin ? « Non, nous sommes sur des objectifs de qualité, nous n’avons pas la prétention de concurrencer des grosses winerys comme en Australie ou au Chili, assure André Pignol. Les économies ont permis de réinvestir dans les vignes, sur des outils de production qui permettent de gagner en gamme. »
2eme région bio
Un secteur qui a su aussi tirer son épingle du jeu est celui des vins naturels et des vins biologiques (17 % de la surface viticole régionale en 2012). Même si certains, attirés par l’effet de mode, s’y sont lancés plus pour l’appât du gain que par conviction. Et les risques sont là : des récoltes bio ont été totalement dévastées par un champignon, le Blackrot. Reste que même si les conversions de terre en bio n’augmentent plus, Paca est la deuxième région de vin bio après le Languedoc. « Le bio marche bien mais ce n’est pas l’euphorie non plus, ça ne va pas aussi vite qu’on le voudrait », tranche Laurent Thérond, producteur vauclusien et membre de la Confédération paysanne.
Ce qui pose la question de l’utilisation de pesticides, très décriés. « Ce sont des produits phytosanitaires, faits pour soigner », répond-on facilement. Au-delà de la novlangue, de gros efforts ont été faits depuis trente ans en la matière, dans une région par ailleurs qui traite moins grâce à de bonnes conditions climatiques. « C’est en demi-teinte, estime Laurent Thérond. Certains ont fait des efforts, trouvent des solutions, d’autres, des "paysans de base" s’obstinent. La filière en consomme toujours beaucoup trop. »
Clément Chassot
1. Interprofession regroupant 600 producteurs et trois AOC du Var et des Bouches-du-Rhône