Des vignerons « pas pareils » en Paca
« Il y a ceux qui font de la terre un désert et il y a ceux qui en font une oasis », explique Bernard Astruc, président de Bio Consom’acteurs Paca imageant ainsi la différence entre l’utilisation de l’agrochimie et de l’agrobiologie sur un même sol. Installé à Lorgues dans le Var, il achète dans les années 90 une parcelle et décide de faire du vin bio avant l’heure. Il prend le temps de tester différentes techniques naturelles pour voir comment sa terre réagit. Avec les années, sa vigne devient de plus en plus résistante. Bernard Astruc fait figure de précurseur, de nombreux vignerons se sont inspirés de ses techniques même si, depuis 2010, il ne produit plus de vin pour s’investir à plein temps dans la défense du bio. Aujourd’hui en Paca, 6 600 hectares de surfaces certifiées biologiques sont dédiées à la viticulture biologique et regroupent 23 % des terres viticoles biologiques françaises. Ce qui en fait la deuxième région de France, et le Var le premier département en vin bio.
Mais là aussi, encore faut-il distinguer les vrais amoureux de la terre de ceux du portefeuille (Cf lire pages 8 et 9). « Nous on fait du bio et d’autres du greenwashing », souligne Hubert Barret, secrétaire de la confédération paysanne du Var mais aussi viticulteur bio de 10 hectares à Vidauban (83). Aimer son terroir, c’est respecter avant tout la terre et son rythme. « C’est la différence entre les paysans et les industriels, avant quand on était mauvais élève c’était l’armée ou l’agriculture, maintenant il faut avoir au moins un bac+2, poursuit le viticulteur. Et vous voyez là, au moment où je vous parle (ndlr : l’interview se fait par téléphone), je ne suis pas derrière un ordinateur, je suis assis sous un pin et je regarde mes vignes ! »
Refuser d’être dans les clous du rendement à tout prix expose aussi à pas mal de soucis financiers. Ce qui n’empêche pas certains de faire quand même le grand saut, avec une détermination absolue. C’est le cas de Jean-Christophe Comor qui, au cœur du massif de la Sainte Baume, à La Roquebrussanne (Var), au bout du chemin de la Persévérance, a acheté en 2003 quelques hectares de vignes et créé le domaine des Terres promises. Cet universitaire a quitté une vie tranquille pour se confronter à la dureté de la terre : « J’ai avancé en marchant, la nature m’a appris l’humilité, à prendre le temps et à le comprendre. » Il explique que sa démarche bio n’est pas celle d’un écolo classique mais repose sur le respect d’un vin qui lui « donne de l’émotion », « dans un désir de pureté, de limpidité morale et éthique », du cep à la transformation. « Je fais le vin le plus proche de mon caillou, ce qui en fait un vin inimitable, en tout cas j’essaie, souligne-t-il. Il faudrait que tous les vins soient inimitables. On n’est "pas pareils" car on essaie de ne pas se faire uniformiser. On ne cherche pas la marge, on cherche à dire une vérité. » Le vigneron a voulu tout apprendre de ce métier. Il fait lui-même les étiquettes et les livraisons de ses vins (11 cuvées) dans toute l’Europe, pour des questions de coût mais aussi pour accompagner sa production et humaniser l’ensemble de sa démarche. Avec d’autres vignerons indépendants, il a créé l’association Rouge Provence, pour défendre le vin rouge mais aussi donner un coup de pouce aux producteurs en cas de coup dur. Un vigneron pas pareil est aussi solidaire !
Une solidarité dont Laurent Thérond, vigneron à Ménerbes dans le Vaucluse a bénéficié. Pour s’installer, il prend d’abord des vignes en fermage avant de créer, en 2011, un GFA (Groupement foncier agricole) auquel des sociétaires souscrivent des parts pour l’achat de deux hectares de vignes. Au départ, il n’y a que des gens de son entourage, puis la presse locale en parle et les souscripteurs sont de plus en plus nombreux et s’élèvent au final à six cents personnes. Résultat, il obtient deux fois la somme demandée ! Du coup une tontine est créée, qui permet d’aider des vignerons en difficulté, ainsi qu’un magasin de producteurs « Naturellement paysan ». Près de 300 sociétaires du groupement foncier agricole sont réellement actifs dont une cinquantaine qui vient aider aux vendanges ou à la mise en bouteille. La contrepartie c’est une bouteille de vin par an. S’il devait recommencer aujourd’hui, Laurent Thérond ferait plutôt un prêt remboursable en vin, plus facile à gérer. Mais si faire appel à des sociétaires permet à des jeunes agriculteurs de se lancer, notre viticulteur « pas pareil » voit au-delà : « Ca permet surtout de sacraliser la terre agricole car il y a tellement de propriétaires qu’on est sûr qu’ils ne seront jamais tous d’accord pour vendre ! »
Samantha Rouchard
Article publié dans le Ravi n°143, daté septembre 2016