Eolien en mer : ça flotte encore
« Je ne veux pas parler avec vous. Le moment est délicat. Nous ne souhaitons pas être associés aux polémiques du Ravi », assène Patricia Marin, coordinatrice de projets au Pôle Mer Méditerranée (1). C’est sous ces auspices que démarre notre enquête sur l’éolien offshore flottant. Il faut dire que l’ambiance est à la discrétion à la veille des derniers résultats de l’appel à projets Eolflo. « Lancé par l’Etat en août 2015, il est doté d’une enveloppe de 150 millions d’euros pour le développement de sites pilotes pré-commerciaux », apprend-on du côté de la préfecture maritime de Méditerranée. La zone « Faraman », au large de Port-Saint-Louis-du-Rhône, fait partie des quatre périmètres d’accueil.
Le principe du « flottant » ? « Ce sont des éoliennes offshore disposées sur des flotteurs reliés aux fonds par des lignes d’ancrage », explique Thomas Bordenave. Cet ingénieur porte le projet de la société Eolfi, candidate en Paca face à EDF Énergies Nouvelles (2). « Pouvant être installé loin des côtes, ce dispositif permet une production d’énergie verte accrue du fait d’une ressource en vent plus forte et plus stable », ajoute-t-il. Des avantages particulièrement adaptés au contexte méditerranéen. « Le golfe du Lion dispose de gisements de vent parmi les plus importants d’Europe », s’enthousiasme Alain Bourrelly, chargé de mission à l’Agence régionale pour l’innovation et l’internationalisation des entreprises de Paca (Arii).
Nouveau marché
L’État compte bien faire de cette technologie émergente un élément de la transition énergétique. Le « flottant » permettra d’envoyer un peu de jus 100 % renouvelable dans le réseau tout en diversifiant l’approvisionnement. Une vision qui s’accorde parfaitement avec les velléités commerciales des entreprises de l’éolien et de l’industrie offshore. « Dès la fin des années 2000, de nombreuses sociétés ont voulu se positionner sur ce nouveau marché », se rappelle Mireille Peirano, ex-vice-présidente PS déléguée à la mer au Conseil régional Paca (3).
Une filière spécifique se structure donc dans la région et pense déjà aux choses sérieuses. « Il y aura des projets de ferme commerciale au large de nos côtes », assure Alain Bourrelly. « Les industriels ont identifié un potentiel […] estimé à 3 GW [gigawatts, ndlr], qui pourraient être raccordé(e)s progressivement entre 2022 et 2030 […] cela représenterait 400 à 600 machines à installer en Méditerranée française », peut-on lire dans un document de planification concocté par les services de l’État (4). Cet objectif, déjà très ambitieux, ne représente en fait qu’une goutte d’eau au regard des capacités de production existantes (129 GW). Et les perspectives de développement sont restreintes. D’abord parce que les zones propices au « flottant » sont limitées par les conditions de vent, les usages marins et l’environnement. Ensuite parce qu’il restera « moins compétitif que le solaire photovoltaïque et l’éolien terrestre », concède Damien Mathon, délégué général du Syndicat des énergies renouvelable (SER).
Turbines étrangères
L’argument insubmersible des promoteurs du « flottant », c’est la création d’emplois locaux. Ce qui n’est pas pour déplaire aux pouvoirs publics comme le relaie le document de planification pour la Méditerranée : « Les industriels évoquent […] en accord avec les élus et représentants locaux cette nécessité de construire un projet de territoire cohérent sur le long terme pour redynamiser les régions méditerranéennes grâce à cet élément de la croissance bleue innovante. » Et les entrepreneurs de reprendre la balle au bond dans un communiqué du SER de mai 2016 : « L’éolien flottant est une source d’emplois durable pour notre pays. »
En réalité, les emplois de long terme seront réduits à la portion congrue. Car comme les sites pilotes, les fermes commerciales seront équipées de turbines étrangères. Ainsi, sur la zone « Faraman », EDF Énergies Nouvelles – grand favori selon Alain Bourrelly – prévoit des éoliennes Siemens produites hors de l’Hexagone. « Sans véritable filière industrielle sur nos territoires, le flottant ne créera pas beaucoup d’emplois, déplore Marie-Claire Cailletaud, porte-parole de la CGT Mines-Énergie. Les opérations d’importation, d’assemblage et de maintenance ne seront pas suffisamment sources d’activité. » D’après les chiffres de l’Arii, une ferme commerciale en Paca représentera tout de même 1 000 emplois locaux pendant 5 ans en phase de construction. Cependant, pendant les 25 années suivantes, seule une centaine de personnes participera à l’exploitation des installations.
Bref, le véritable enjeu de l’appel à projets Eolflo n’est ni le développement d’une énergie renouvelable d’envergure au large des côtes françaises, ni la création d’emplois locaux pérennes. C’est la préparation des futurs champions du secteur pour le marché international et son potentiel à 6 950 GW. Et comme le dit Damien Mathon, « on ne vend pas une technologie à l’étranger sans une vitrine sur son territoire ».
Clément Champiat
1. Pôles de compétitivité sur les filières économiques de la mer.
2. La firme n’a pas répondu à nos sollicitations.
3. Philippe Maurizot, vice-président LR de la commission industrie-innovation et interlocuteur sur l’éolien flottant au Conseil Régional, n’a pas donné suite à nos demandes.
4. Le développement de l’éolien en mer Méditerranée, avril 2015.
Enquête publiée dans le Ravi n°143, daté septembre 2016