« Errare humanum est »
17h50
Ce 20 juillet 2016, la table de presse est placée juste à côté d’une clim à roulettes qui fait un bruit du tonnerre. « Vous êtes le journaliste de Var-matin ? », demandons-nous à un homme du public qui a posé son smartphone et sa chemise cartonnée sur le rebord de la table. « Euh, non… », nous répond-il, surpris, en retirant précipitamment ses affaires croyant que nous voulions marquer notre territoire… Philippe Hrynda, élu d’opposition FN d’origine belge, cheveux grisonnants et mâchoire proéminente (une fois !) a déjà pris place, il discute avec Pascal Simonetti, élu d’opposition DVG, qui fait son tour de serrage de mains moites.
17h56
De loin, montant l’escalier on aperçoit la chemise à carreaux d’Horace Lanfranchi, 1er adjoint en charge de l’administration générale, une délégation assez vague pour qu’on y fourre un peu tout, comme l’urbanisme qui n’est la délégation de personne. Maire de Saint-Maximin de 1995 à 2002, il est aussi le père de la maire actuelle : Chistine Lanfranchi-Dorgal. Horace Lanfranchi est surtout l’ancien président du Conseil général du Var (2002-2015) dont la gestion entre 2009 et 2014 vient d’être épinglée par la Chambre régionale des comptes (CRC). Cette dernière pointe des évolutions de carrière contestables, des primes et des logements de fonction attribués indûment, des cadres associatifs trop rétribués… et surtout, le plus drôle « des logiques familiales prégnantes » avec un taux d’homonymie au CD 83 de 36 % et notamment des emplois donnés à la progéniture de présidents successifs. Interrogé par Var-matin début juillet sur ce népotisme généralisé, la réponse d’Horace Lanfranchi oscille entre mauvaise foi et gros foutage de gueule : « Si les enfants font parfaitement leur boulot, je crois que tout le monde a le droit à une égalité de traitement et que nous n’avons pas, nous, à marginaliser les gens parce qu’ils sont frère, sœur, fille, cousin ou parrain de telle ou telle personne. » Il faut dire que sa fille en est un bel exemple. D’abord embauchée en mairie comme responsable des services financiers, elle passe ensuite responsable du contrôle des marchés publics au Conseil général du Var. Entre temps, elle grimpe les échelons et devient fonctionnaire catégorie A. Et après avoir été adjointe aux finances sous l’ancien maire, et suppléante de son père aux cantonales en 2011, en 2014 elle devient maire au côté de papa,1er adjoint qui gère en sous-main.
17h57
Robe bleu pastel évasée, modèle années 60, Marie-Madeleine fait son entrée. Pardon il s’agit de Mireille Bœuf, adjointe à la culture et au patrimoine historique. Elle est surtout la présidente de l’association Santo Madaleno qui célèbre Sainte Marie-Madeleine dont les reliques sont conservées dans la basilique éponyme qui jouxte la mairie. D’ailleurs, quatre jours lui sont consacrés chaque année à Saint-Maximin, avec messes et processions à tout va. Les festivités commencent ce soir à 21h avec une soirée de prière au Couvent des moniales dominicaines. Va pas falloir trop traîner au conseil Mireille !
17h59
Madame le maire nous salue, petit sourire, menton levé signifiant un « eh ben ! » lorsqu’elle comprend que c’est le Ravi. Son père lui emboîte le pas et nous lance : « C’est vous qui assurez ? », nous confondant avec une stagiaire de Var-matin. « Ah non, c’est pour le Ravi ! », rétorquons-nous. Pincement de lèvres de Lanfranchi qui poursuit son chemin.
18h03
L’édile fait l’appel à toute vitesse, couvert par des larsens et des bruits de chaises.
18h05
Philippe Hrynda refuse d’approuver un PV du dernier conseil qui indique l’absence d’un conseiller municipal pendant une délibération : « J’ai demandé à réécouter l’enregistrement et cette sortie n’est pas indiquée, en tout cas on ne lui a pas demandé de sortir […] Pourquoi ne pas avoir donné la raison ? Qu’est-ce que cela cache ? » Christine Lanfranchi-Dorgal explique que le conseiller en question serait sorti de lui-même, « la délibération concernant le parc d’activités au sein duquel il occupe encore des fonctions contrairement à ce que je pensais ». Et l’édile de conclure : « Errare humanum est ! » Et Horace-papa-Lanfranchi de prendre aussitôt la parole : « Si vous permettez madame ? » Et Madame le maire sa fille de diriger alors vers lui le micro : « bien sûr, monsieur… » Là où Christine se perdait en excuses, Horace recadre et revient sur le détail de la délibération : « Dans ce cas, que le conseiller soit sorti ou pas n’entache en rien d’irrégularités la délibération du conseil. Merci madame le maire… » Point final, c’est lui le boss et il le montre.
18h10
« Y a-t-il des questions sur les arrêtés et décisions pris pour ce trimestre ? », interroge l’édile. « Comme aucune commission municipale ne s’est jamais réunie, nous n’avons, nous les élus de l’opposition, mais je pense que c’est aussi le cas d’un certain nombre de conseillers de la majorité, aucune idée des activités de la commune », lance Alain Decanis, chef de file du groupe DVG-DVD « Ensemble pour la transparence et la démocratie ». Ancien adjoint aux finances (1989-1993), il égraine des montants et demande des précisions : Quelle durée ? Quel chemin ? Quels travaux ? « Il s’agit de petits marchés hein », minimise le maire qui laisse la parole à l’adjoint concerné. Le FN s’abstient sur toutes les délibérations.
18h22
Restauration de la tribune des grandes orgues. Alors que Marie-Madeleine prend la parole – elle n’a pas la voix de son physique – les cloches de la basilique se mettent à sonner. Signe divin ?
18h25
Délibération 139. « Ça vous intéresse ? Parce que si vous parlez, on passe directement au vote ! », lance Jaques Freynet, adjoint aux espaces urbains au groupe de Decanis. « Je t’écoute religieusement avec les cloches », rétorque avec humour la tête de liste. « Ouais ben, y’a pas que celles-là de cloches », poursuit l’adjoint. Rires dans la salle.
18h29
Marché public de la restauration scolaire de deux établissements remporté par la Sodexo. « Une fois de plus, il s’agit là de la dernière phase de la privatisation des cantines, réagit Decanis. Une fois de plus, vous nous mettez devant le fait accompli sans que nous n’ayons eu aucune réunion, ni même discussion. » Avant que l’élu d’opposition poursuive sa charge au sujet de la délibération suivante : « Il en est de même pour la privatisation du nettoyage d’un groupe scolaire. Vous nous parlez toujours d’économies, mais on privatise de plus en plus de services et notre masse salariale ne cesse d’augmenter ! »
18h32
Horace range ses lunettes. Ça sent la quille.
18h35
La fille-maire fait un point sur le PLU. Le préfet ne l’a pas validé entièrement, l’extension des zones pavillonnaires pose problème, mais elle enrobe tout cela à la perfection. Decanis en profite pour lui demander, naïvement, si on peut lui transmettre l’analyse financière du percepteur avant de partir en vacances. « Non, tout se passera à la rentrée ! », conclut le père Horace en maître des lieux.
Samantha Rouchard