« Notre point fort : générer des revenus sur le territoire »
Pouvez-vous nous présenter le projet Hôtel du Nord ?
Nathalie Cazals : La coopérative est née en 2011, mais le projet a été lancé il y a plus de 10 ans. L’objectif était de valoriser économiquement, pour les habitants et le territoire, les patrimoines des quartiers nord de Marseille, son histoire ouvrière, le port, la désindustrialisation, l’accueil de toutes les populations au cours du 20ème siècle. Pour cela nous avons élaboré des balades. Quand vous faites venir des gens, il faut aussi les accueillir. C’est le deuxième volet du projet : le réseau de chambres chez l’habitant. Il y a enfin la vente de produits : du miel, les thés et tisanes de Scoop Ti, des savons de Marseille. Pour maintenir les emplois, les savonneries luttent afin d’avoir une reconnaissance d’appellation d’origine. En vendre dans les chambres, ça permet d’en parler. Pour le territoire, Hôtel du Nord a donc un impact très fort et c’est sa grande réussite.
Comment intégrez-vous les habitants des quartiers populaires au projet ?
Christiane Martinez : Christine Breton, qui était conservatrice du patrimoine à la ville de Marseille et qui est à l’origine du projet, m’a proposé d’y participer. Pour les bonnes causes, je suis partante ! Après, il y a eu l’organisation de balades dans le quartier à l’occasion des journées européennes du patrimoine et un séjour test en 2010. Mais comme je suis en logement social, je n’ai pas le droit de louer ma chambre. Je risque l’expulsion. J’ai donc très peu reçu en fait. Ça aurait pu être un complément de revenus, mais je l’aurais fait bénévolement. Ma motivation première, ce sont les rencontres que je fais et accompagner à la découverte de mon quartier les gens de l’extérieur qui ne connaissaient pas les quartiers nord. Ça me tient à cœur de défendre tout ça.
Quel type de revenu Hôtel du Nord génère-t-il pour les coopérateurs ?
N. C. : C’est un revenu complémentaire. Selon leurs dires, ça peut correspondre à l’équivalent de leur taxe d’habitation et taxe foncière, et pour certains peut-être un peu plus. Mais il faut avoir du temps. Ça leur apporte surtout des rencontres humaines et des invitations à l’étranger.
Comment la coopérative a-t-elle évolué depuis sa création ?
N. C. : Aujourd’hui, il y a plus de 60 sociétaires et on est en progression d’un point de vue économique. On a eu plus de chambres (plus de 40) et plus de balades. C’est un projet qui a grandi très vite, notamment sous l’impulsion de la capitale européenne de la culture. Mais pas au point de maintenir les deux emplois aidés du départ. Ce qui a manqué, ce sont de gros acheteurs ou plus réguliers, comme EDF-GDF pour les balades ou l’hôpital nord, avec qui on travaille pour vendre nos chambres aux familles des malades, parce qu’il n’y a pas que le tourisme pour générer de l’économie. Cependant, ces emplois ont permis de développer assez la structure pour qu’il y ait de l’auto-formation, de la co-formation pour que chacun puisse assumer des missions. Aujourd’hui, notre point fort c’est de générer des revenus indirects sur ce territoire, de travailler avec les acteurs locaux pour transformer la perception des quartiers.
Quelles sont les perspectives économiques et les projets de la coopérative pour le futur ?
N. C. : Le principal projet de la coopérative est la plateforme de réservation à l’échelle nationale, « H to H ». Pour « human to human », « histoire to histoire », « hôte to hôte ». Elle regroupera, à terme, 200 structures. Au vu de notre bilan économique, il y a nécessité à travailler sur un territoire plus grand pour créer de nouveaux partenariats, avec d’autres entreprises et d’autres associations du tourisme participatif. Localement, on va continuer à travailler avec les acteurs locaux mais aussi au niveau métropolitain. On a déjà des chambres à Ensuès-la-Redonne et on va intégrer celles qui vont se créer le long du GR 2013. L’urgence économique pousse à la coopération, de manière obligatoire, mais aussi parce qu’ on a envie de faire les choses ensemble.
Propos recueillis par Christine Fassanaro, Ahmed Saïd, Thierry Dargent et J-F. P.
Avec plus de 10 % des emplois de Paca, l’Economie sociale et solidaire (ESS) est un levier important de développement. Mais elle a bien du mal à s’implanter dans les quartiers populaires, faute d’un manque de volonté politique et de financements publics. le Ravi a réuni des habitants de ces quartiers, à Marseille, en collaboration avec Le Mesclun, un tout jeune journal fabriqué dans la cité des Flamants (14e arr.), et à Avignon, au centre social de la Croix des Oiseaux, pour un nouveau volet de « Et si ? », notre projet de journalisme participatif. Ce sont eux qui ont réalisé cet article publié en juillet 2016 dans un supplément du Ravi n°143.