La petite ferme dans la cité
« Je vous attendais ! » Ça fait bien un bon quart d’heure que nous échangeons dans sa chèvrerie avec Marie Maurange quand elle lance cette invitation dans un grand sourire. Débarquée de Briançon, il y a deux ans, pour reprendre la ferme pédagogique de la Tour des Pins, propriété de la ville de Marseille, cette petite blonde avenante et dynamique de 63 ans aux cheveux courts, a des projets plein la tête mais peine encore à les mettre en place.
Le lieu est pourtant idyllique. Installée sur la moitié des 12 hectares de la Bastide de Montgolfier, l’exploitation est un poumon vert et boisé entre la cité de la Marjorée, qui la jouxte, celle des Flamants, la copropriété dégradée du Mail et le noyau villageois de Sainte-Marthe. Retenue parmi six candidats en 2014, Marie Maurange s’installe avec chèvres, brebis, cochons, volailles, lapins, des ruches et son chien. Une vache devrait bientôt suivre. Deux salariés l’épaulent, dont une à mi-temps pour les animations. C’est la principale activité de la ferme avec la fabrication des fromages, bio bien sûr. « A Briançon, c’était magnifique mais j’avais envie d’autre chose, explique l’éleveuse, qui préside la fédération régionale de l’agriculture biologique. Le côté humain du projet, sa position dans les quartiers populaires m’intéressaient. Et je voulais une ferme qui produit, qui vend, qui vit dans Marseille. »
Fromages et solidarités
Ouverte, sa ferme l’est, bien au-delà du quartier. Mais encore sur des temps limités : essentiellement pendant les horaires de la vente directe des fromages (mercredi fin de journée, samedi fin de matinée) et pour l’accueil des scolaires. 700 à 800 enfants des écoles marseillaises ont ainsi été accueillis cette année, pour une visite de la ferme, la découverte des animaux, de la fabrication des fromages, des activités liées à l’environnement. « En plus de ces 15 heures hebdomadaires consacrées aux écoles, le cahier des charges m’impose également des activités payantes, 45 par an, qui sont réservées aux centres sociaux », précise Mairie Maurange.
Quelques rares autres moments publics sont également organisés : pour une visite de la ferme aux particuliers (payante) ou un anniversaire, ou encore à l’occasion d’un événement. Le dimanche 5 juin en matinée, la ferme a ainsi accueilli la fête du lait bio, une initiative de la fédération nationale de l’agriculture biologique. Quelques 200 personnes y ont participé, notamment pour découvrir le lieu et ses animaux, mais aussi pour s’informer sur l’agriculture bio et prendre un petit déjeuner copieux dans la prairie qui jouxte le potager et la chèvrerie. Les plus matinaux ont également pu assister à la traite. Arrivée dès 8h, la famille Boukrine a eu le temps de tout faire. « On est venu pour se distraire avec les gens. Il fait beau, les enfants se promènent, visitent la ferme, voient les animaux », apprécient Hadjil et Tajeb, deux retraités du quartier installés à une des tables de banquet et protégés par un parasol.
Bonne bouffe de quartier
Une réserve sur ce moment : le prix du petit déjeuner (5 euros pour les parents, 3 euros pour les enfants) imposé par le national, qui a pu freiner certains habitants des cités alentours. Cette question d’accessibilité à ses produits, à ses actions, à sa ferme et à la bonne bouffe d’une manière générale interroge l’agricultrice. « Une étude réalisée dans le 15ème arrondissement montre que les populations des quartiers populaires sont plus obèses, meurent plus tôt, ont du diabète, explique Marie Maurange. Les bobos vont dans les épiceries paysannes, au marché, mangent bio. Il reste les classes populaires à toucher, les plus nombreuses. »
Pour y remédier, la fermière a notamment un projet dans ses cartons : un jardin partagé au sein de la ferme. Mais pas n’importe lequel. « Un carré serait cassé en quatre, avec un coin pour les Comoriens, un pour les Marocains, un pour les Algériens, etc… Avec au milieu ce qui nous rassemble. On pourrait faire un banquet avec les produits », annonce l’agricultrice en moulant ses fromages. Et de conclure dans un nouveau sourire : « Partager un repas, c’est la base ! »
Amina Bounab, Dalila Aïssa, Sonia Halimi et Jean-François Poupelin
Avec plus de 10 % des emplois de Paca, l’Economie sociale et solidaire (ESS) est un levier important de développement. Mais elle a bien du mal à s’implanter dans les quartiers populaires, faute d’un manque de volonté politique et de financements publics. le Ravi a réuni des habitants de ces quartiers, à Marseille, en collaboration avec Le Mesclun, un tout jeune journal fabriqué dans la cité des Flamants (14e arr.), et à Avignon, au centre social de la Croix des Oiseaux, pour un nouveau volet de « Et si ? », notre projet de journalisme participatif. Ce sont eux qui ont réalisé cet article publié en juillet 2016 dans un supplément du Ravi n°143.