A Marseille, la culture du tourisme
Si la culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié, à Marseille la situation est plus qu’inquiétante. En-dehors du Mucem et des musées rénovés, qui ronronnent de nouveau, difficile en effet de trouver dans la ville une trace de la capitale européenne de la culture de 2013. « Le seul acquis, c’est l’ouverture du métro jusqu’à minuit », assure sans rire Agnès Loudes, secrétaire générale du Théâtre Antoine Vitez à Aix-en-Provence et administratrice du syndicat national des scènes publiques.
« Ni sceptique, ni nostalgique des années 90 », Jean-François Chougnet, le directeur du Mucem, préfère de son côté voir le verre à moitié plein. « La majorité a beaucoup moins sacrifié la culture qu’ailleurs, même s’ils n’en ont pas tiré bénéfice, juge très diplomatiquement l’ancien patron de Marseille Provence 2013. La réflexion métropolitaine sur la culture n’a pas perduré, tout le monde souffre en ce moment des baisses de subventions, [mais] 2013 a contribué à amorcer de nouvelles manières de travailler entre structures, [elle] a changé l’image de la ville et a fait de la culture un objet de débat. »
Une mince consolation pour la multitude d’acteurs culturels de la ville. Exceptions faites de l’opéra (plus de 20 millions d’euros), des musées vides et des bibliothèques sous dotées selon la chambre régionale des comptes (41,2 millions d’euros) et d’autres charges diverses et variées (17 millions d’euros), il ne reste en effet que des miettes des éternels 110 millions d’euros du budget municipal de la Culture, le troisième après l’Education et… la Sécurité. « Dans une ville qui n’a pas d’argent, la priorité devrait être les petites structures », regrette le poète Christian Poitevin, emblématique adjoint à la culture de Robert Vigouroux entre 1989 et 1995.
Mais Gaudin et son équipe ont fait un choix totalement à l’opposé, celui des gros et des grands événements (1). Malgré le discours sur l’importance de la richesse et de la diversité du tissu associatif culturel marseillais, leurs budgets depuis 2014 sont sans appel : le poste « expression artistique », qui concentre l’essentiel des financements aux associations, aux lieux, aux compagnies et aux festivals, a baissé de 5,4 %, de 24,32 millions d’euros à 23 millions. Au même moment, la part des dix principales structures de la ville a progressé de 3,6 %, de 12,42 millions d’euros à 12,87 millions d’euros, et représente désormais plus de la moitié de cette ligne. La fête est bien finie, pour reprendre le titre du documentaire de Nicolas Burlaud sur MP 2013 !
C’est même la douche froide depuis l’annonce de la nouvelle baisse de 10 % du budget Culture du conseil départemental. La deuxième en deux ans pour la majorité LR. Sabine Bernasconi, vice-présidente à la Culture du CD13 et maire des 1er et 7e arrondissements, peut jurer la main sur le cœur avoir arbitré selon des critères précis, fait des coupes mesurées et demandé des efforts à tout le monde, les baisses de 50 % et même 70 % sont loin d’être rares. « Ce qui disparaît, c’est tout le maillage territorial, mais aussi le lien social, la vie des quartiers, des commerces », dénonce le socialiste Benoît Payan. Et de pester : « On donne aux Marseillais du pain et des jeux. »
Alors que pendant longtemps Gaudin a eu la réputation de « maintenir l’erre » de l’héritage Vigouroux, pour reprendre l’expression maritime de Christian Poitevin, désormais une véritable politique culturelle se dessine à Marseille. « Depuis 2013, elle est cohérente et s’appuie sur le triangle d’or Mucem-Pharo-Palais Longchamp, avec la réhabilitation d’espaces muséaux et commerciaux dont se contentent les touristes », estime Sam Khebizi, directeur de l’association de médiation culturelle Les têtes de l’art.
Autres signaux : les regroupements effectués dans les théâtres de la ville (Les Bernardines avec Le Gymnase, où celui en cours du Lenche avec la Minoterie-Joliette)… Parmi eux, il y a le poids grandissant de La Friche de la Belle de Mai rénovée et agrandie, qui joue désormais la transversalité entre Culture, Social et Loisirs, mais également entre les publics (travailleurs, habitants, spectateurs). Tout en restant malheureusement une enclave dans le 3e arr. et la ville. « Oui on est sur une dynamique positive, mais on nous fait un mauvais procès, se défend Alain Arnaudet, son directeur. La Friche, c’est un projet collaboratif, qui accueille, qui rassemble, mais qui est insuffisamment financé pour être réellement mis en œuvre. »
Totalement « assumée » par Sabine Bernasconi, parce qu’elle crée de « l’attractivité », cette politique ne choque pas Jean-François Chougnet. « On retrouve cette concentration des moyens dans beaucoup de villes françaises », assure le directeur du Mucem. Qui note quand même : « Il y a peu de choses repérables au niveau national ou international. »
Pour preuve, c’est à l’initiative d’un groupe informel d’acteurs culturels, économiques, qu’est annoncée l’organisation d’une mini-capitale pour 2018. Gaudin se contentant de parier sur la 13e édition de Manifesta, une biennale européenne de l’art contemporain, en 2020, et une plus encore hypothétique exposition universelle en… 2025. De son côté, Lille a déjà organisé quatre suites à sa capitale européenne de 2004. Mais la ville de la socialiste Martine Aubry ne sera pas capitale européenne du sport l’année prochaine !
Jean-François Poupelin
1. Contactée, Anne-Marie d’Estienne d’Orves, adjointe à la culture de JC Gaudin, n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Enquête publié dans le Ravi n°142 daté juillet-août 2016