Bouillabai(s)se carqueirannaise
« C’est l’heure de manger ! En plus y’a aïoli ! » (le Ravi n°134). On savait Marc Giraud, président LR du Conseil départemental du Var mis en examen pour détournement de fonds publics (1), amateur de bonne bouffe. Mais là le rapport de la Chambre régionale des comptes, publié fin mars sur le mandat de Giraud à Carqueiranne dont il fut le maire de 1997 à 2015, laisse le gosier en émoi. De 2009 à 2015, sous le règne de Markus 1er comme aime à le nommer Le Gobi de Carquei, site satirique, tous frais de bouche confondus, la commune a englouti chaque année en plus du champagne et des fraisiers géants des centaines de milliers d’euros : 250 000 environ pour les fiestas, 90 000 pour l’alcool, jusqu’à 122 000 de resto, etc. Tout ça, à la santé du contribuable qui voit sa commune endettée à hauteur de 25 millions d’euros pour au minimum 72 ans !
Investissements financés par l’emprunt, absence de trésorerie, non respect du code des marchés publics… Difficile aussi pour la CRC de s’y retrouver dans une compta plus qu’hasardeuse. Les dépenses sont ventilées sur de nombreux autres comptes que ceux auxquels elles devraient se rapporter. Les dépenses d’alcool sont imputées du compte « fourre tout », « alimentation » et aucune « comptabilité matière » n’est tenue concernant les bouteilles, oubli que le maire actuel, Robert Masson, ancien adjoint aux finances de l’époque justifie par « une consommation immédiate ». Si on en croit une facture que le Ravi a pu se procurer, Giraud devait avoir très soif le 12 juin 2013, lorsque son cabinet a commandé 1250 bouteilles de champagne brut Carte Blanche pour une facture de 15 875 euros à un producteur de l’Aube ! (2)
Les trois coups
Mais le puits sans fond – ou plutôt avec fonds publics – c’est le festival de Théâtre in Situ de Fort La Bayarde : programmation de boulevard et têtes d’affiches people, dont le fidèle Francis Huster invité depuis 2010. Il aurait tort de ne pas rempiler tellement on arrose bien à Carqueiranne, surtout en soirée VIP ! Mais malgré les subventions du CG 83 (130 000 euros en 2014), le festival est déficitaire de 250 000 à 400 000 euros selon les années. Masson assure dans Var-matin qu’en 2016 le festival coûtera seulement 12 000 euros par manifestation. On va ressortir les planches en bois car selon les calculs de la CRC sur la période contrôlée on était plutôt autour de centaines de milliers d’euros par soir. Pas sûr, à ce rythme, qu’on revoit Francis en 2017 ! Mais Théâtre in Situ c’est surtout le bébé de Philippe Voyenne, dir cab de Giraud à la mairie et désormais au CD 83. Bernard Voyenne, le père de Philippe, était président de l’association des Amis du Fort La Bayarde, jusqu’en novembre 2015 (avant sa dissolution). Elle organisait notamment des pique-niques. Mais attention, chez les Voyenne on ne pose pas son derrière sur une nappe à carreaux pour manger des chips ! On embauche huit maîtres d’hôtel et huit chefs de rang pour 1425 euros ttc et on envoie la note à la mairie (3).
Un dir cab en or massif
On savait le fils plutôt doué pour l’immobilier (affaire Beau-Rivage, pour laquelle une instruction est ouverte depuis 2013. Cf le Ravi n°112). Par ailleurs lui aussi mis en examen pour « complicité de détournement de fonds publics » (4), Philippe Voyenne a surtout un don pour plomber les finances de Carqueiranne. La CRC l’épingle sur quatre pages : indemnités illégales en tous genres en plus de son salaire, heures sup qui dépassent trois fois le plafond autorisé, note de téléphone salée, « carte open » pour le resto, etc. L’opposition s’est amusée à faire le calcul et, tous privilèges cumulés, il coûtait plus de 16 500 euros par mois à la commune ! Jusqu’à fin avril 2016, Voyenne était aussi conseiller en relations publiques et communication, en profession libérale ! Reste à savoir combien il coûte désormais au département…
Des dérives que l’opposition met en avant depuis longtemps et à laquelle la CRC vient donner raison. Alain Bencivengo, chef de fil de la liste Le Rassemblement pour Carqueiranne (sans étiquette, signataire de la charte Anticor), affirme avoir envoyé sept courriers à Masson restés sans réponse mais assurément transmis au département : « Je ne peux qu’émettre l’hypothèse selon laquelle il a été désigné maire par intérim uniquement pour verrouiller les dossiers, il peut compter sur moi pour les déverrouiller ! »
La CRC a transmis le dossier au procureur. Deux élus de l’actuelle majorité, Guy Beaujardin et Hubert Zurfluh, au nom de l’article 40 du code de procédure pénale ont aussi saisi la justice, alors que Robert Masson reste impassible. Ils ont été évincés de la majorité et traités de « taupes » et « de sous-marins » par un adjoint lors du dernier conseil municipal. « Ce n’est pas un lieu démocratique, il y a de l’intimidation, explique Guy Beaujardin, policier en retraite. Il y a encore la pâte de l’ancien, c’est un régime de pressions et de peur. Mais nous, nous n’avons peur de rien ni personne, nous irons jusqu’au bout de notre action. »
Au département Giraud semble plus prudent niveau dépenses : fini les caisses de vins offertes aux élus à Noël ! En décembre dernier, ils ont reçu à la place un ouvrage sur les paysages du Var. Tout se perd ! L’ambiance y est plutôt délétère, et bosser sur les dossiers ne semble pas être la priorité de tous les conseillers. Mais tous les matins le sénateurs-maire LR de Toulon et président de TPM, Hubert Falco, vient boire le café pour rappeler à son homme de paille qui est le chef !
Samantha Rouchard
1. En raison d’un soupçon d’emploi fictif de son binôme aux départementales.
2. Facture que le Ravi a pu se procurer.
3. Facture du 23 juin 2013 que le Ravi a pu se procurer.
4. Robert Masson, maire de Carqueiranne, n’a pas répondu à notre demande d’interview. Idem pour Philippe Vitel, député et secrétaire LR83 mais surtout ami de Giraud depuis 20 ans. Quant à ce dernier et son dir cab, ils sont « trop occupés » pour nous recevoir.
Enquête publié dans le Ravi n°142 daté juillet-août 2016