Médias sous Covid : le masque ou la plume ?
Rien ne sera plus comme avant. Sinon, un journal gratuit n’irait pas jusqu’à flirter avec les thèses de l’association de critique des médias Acrimed ! Fin avril, 20 minutes se fait les crocs sur le traitement médiatique du Covid-19 : « L’art de dire tout et n’importe quoi à la télé est-il accentué par la crise ? » Et de cibler notamment l’insubmersible Christophe Barbier.
Juste avant, communiqué au vitriol d’Acrimed : « Au nom du pluralisme, taisez-vous ! » Une invitation aux éditorialistes à la fermer pour « trente ans » : « Question d’équilibre, justifie Mathias Reymond, responsable d’Acrimed. Depuis trente ans, ils monopolisent la parole. Qu’ils laissent la place aux autres. Et dans trente ans, ils pourront revenir débattre ! »
Il faut dire que l’heure est grave. Au lendemain de la journée mondiale de la liberté de la presse, le SNJ a déposé un « référé-liberté » auprès du Conseil d’État et obtenu que soit retirée la rubrique « Désinfox Coronavirus » du site du gouvernement. Ce dernier s’arrogeait le droit de dire, en relayant leurs articles, quels étaient les médias qui, à ses yeux, luttaient « dans le cadre de la crise sanitaire contre la désinformation ». De quoi donner aussi des boutons au SNJ-CGT et aux sociétés des rédacteurs.
Pour Mathias Reymond, « cette crise est un miroir grossissant du fonctionnement des médias et de leur travers. Ça ressemble à ce qui se passe quand la France est en guerre. Ou quand il y a de fortes tensions autour d’une élection présidentielle ou d’un référendum. »
Course à l’instantanéité
Certes, note l’universitaire, « la communication politique s’est toujours faite en France sur un ton paternaliste, descendant, infantilisant. Avec une véritable volonté de contrôle. On est dans un pays dont le Président choisit qui va l’interviewer ! » Mais, le facteur aggravant aujourd’hui, c’est « le rythme : avec les chaînes de télé comme BFM ou CNews et les réseaux sociaux, on est en “alerte info” continu ! Avec un déluge de commentaires ».
Même constat de Denis Rougé, de l’association d’éducation aux médias Les Pieds dans l’Paf : « Au bout d’un moment, les faits n’ont plus d’importance. Ce qui compte, c’est la course à l’instantanéité. Quitte à démentir après. En attendant, on aura eu les commentaires, les commentaires des commentaires, leur analyse… C’est presque aberrant qu’il y ait désormais des services de fact-checking dans les médias. Parce qu’à la base, ils sont censés ne diffuser que des informations qui ont été vérifiées ! »
Exemple ? Les vraies-fausses menaces de sanctions de la garde des Sceaux au présentateur de JT de TF1 Jean-Pierre Pernaut pour avoir critiqué la gestion de la crise par le gouvernement : « On s’est rendu compte que c’est parti d’un compte twitter parodique de l’Elysée ! » Et, avec sa rubrique « appel de Dé-presse », de mettre en avant une vidéo qui déconstruit une interview du professeur Raoult sur BFM : « Cela permet de voir les techniques de manipulation. »
Pas de quoi redorer le blason des médias. « Depuis dix-quinze ans, déplore Mathias Reymond, la défiance à l’égard des médias, du fait d’infos biaisées et d’erreurs, n’a cessé de se creuser. Comme la distance sociale et culturelle entre ceux qui font l’info et ceux qui la consomment. » Denis Rougé opine : « Les infos sont tellement orientées, anxiogènes, il y a tellement de faux-débats que les gens s’en détournent. Au risque, pour certains, d’aller piocher ça et là auprès de sources pas forcément plus fiables. Ou de verser dans le complotisme. »
Or, cela intervient dans un contexte loin d’être anodin puisque la plupart des médias ressortent de cette crise particulièrement fragilisés. Et ce, alors que le Covid a fait plusieurs victimes collatérales : la « Semaine de la presse à l’école » qui s’est faite, cette année, « à la maison » et les ateliers d’éducation aux médias, reportés pour cause de fermeture des établissements scolaires.
À Acrimed, on redoute déjà une seconde vague : « Avec le déconfinement, les médias invitent les mêmes commentateurs, les mêmes “experts”, en particulier les économistes comme Alain Minc. Ceux qui, de crise en crise, se trompent à chaque fois ! » Et, à voir Radio d’Ici, une radio associative dans la Loire, dont les locaux et le matériel ont été saccagés, vraisemblablement par des néo-nazis, certains semblent encore confinés dans leur tête…