Les 1000 cochons des Hautes-Alpes
« On s’est tellement battus… On ne se berce pas d’illusions mais on ne baisse pas les bras, on ne peut pas laisser passer ça », s’indigne Isabelle Jaussaud, membre du Collectif de défense environnemental du Champsaur. L’association regroupe 150 habitants de cette charmante vallée alpine des Hautes-Alpes, située en lisière du Parc national des Ecrins, opposés à la construction d’une ferme intensive d’engraissement de cochons sur la commune de Chabottes. En cause, un péril environnemental et touristique dans ce coin de montagne qui est très dépendant économiquement des vacanciers. « J’habite à 100 mètres de la ferme, il y a un centre de vacances à proximité aussi, on a très peur des odeurs », explique Isabelle Jaussaud.
Si cette histoire a en réalité commencé il y a 18 ans, elle semble devoir trouver son épilogue : le 8 décembre 2015, la mairie de Chabottes – où sont élus Serge Jousselme et sa femme, les porteurs du projet (1) – a délivré un permis de construire et la préfecture a accordé, le 29 mars dernier, une autorisation d’exploiter pour un élevage de 1072 porcs. Des travaux de terrassement ont depuis commencé. C’est que Serge Jousselme est têtu : il présente son projet aux autorités pour la quatrième fois. En 1998, l’enquête publique est défavorable. En 1999, une commune voisine, Saint-Jean-Saint-Nicolas, qui devait accueillir l’ouvrage, ainsi que la préfecture refusent le projet. En 2003, la porcherie est redirigée vers Chabottes et cette fois, la préfecture donne son aval. Ce n’est que par les recours juridiques de l’ancêtre du collectif, l’association Champsaur vallée saine, que le tribunal administratif de Marseille fait capoter en 2004 les rêves de l’agriculteur.
Cochon qui s’en dédit
Las, cette fois les normes réglementaires ont changé : l’enquête publique n’est plus obligatoire car les premières habitations sont à plus de 100 mètres, contre 500 auparavant et le seuil des 2 000 porcs n’est pas dépassé, ce qui n’oblige pas la mairie à réaliser d’étude d’impact pour le permis de construire. Ce qui fait enrager maître Grégoire Frison, avocat spécialisé à Amiens, qui ne désarme pas : il a porté une requête en excès de pouvoir auprès du tribunal administratif de Marseille au nom de l’association SAPN (Société alpine de protection de la nature) et une trentaine de riverains. « Cette ferme est classée IPCE (Installation classée pour la protection de l’environnement), même si elle n’était pas légalement obligée de le faire, la mairie aurait dû raisonnablement réaliser une étude d’impact, c’est pourquoi nous attaquons le permis de construire. »
Mais c’est le fond de l’activité que l’avocat dénonce : « Si on est loin de la taille des énormes exploitations bretonnes, c’est la même logique : des cochons élevés sur caillebotis qui ne voient pas la lumière du jour ! D’ailleurs l’architecte de la ferme est breton… », raille-t-il. En face, l’agriculteur, élu à la chambre d’agriculture et qui dispose désormais du soutien des élus locaux, fait valoir ses arguments. Disposant déjà d’un « atelier porcin naisseur », il engraissait jusque-là ses bêtes en Isère. Il se revendique écolo puisque la production serait relocalisée évitant de gâcher du pétrole. Mieux, ce serait de l’agriculture en circuit court puisque ses cochons sont ensuite revendus à un abattoir de Gap, la Sica « Le montagnard des Alpes », qui revendique la marque du même nom. Il assure produire lui-même les aliments porcins et que les dernières techniques d’élevage maîtriseront les nuisances. « Le meilleur moyen de foutre en l’air l’image du porc de montagne », réplique l’avocat.
Superproduction porcine
« Vous avez déjà vu un cochon qui sent la rose », rigole André Davin, éleveur de bovins à proximité. « Les élus ont tourné casaque et le microcosme des instances agricoles locales est puissant, poursuit ce membre de la Confédération paysanne. C’est bête, parce qu’il manque dans le 05 d’élevages biologiques et conventionnels. » Maître Frison estime que rapatrier la ferme dans le Champsaur permettra à l’exploitant de dégager une petite marge supplémentaire, « mais dans un contexte pareil, où la filière, subventionnée par l’Europe, est en surproduction avec des prix de revente à perte, on marche sur la tête ».
Ce qui n’est pas l’avis de Marc Viossat, vice-président UDI du Conseil départemental des Hautes-Alpes, élu à l’Environnement et lui-même agriculteur. Il a participé à la commission préfectorale qui a étudié le projet de Serge Jousselme. Il loue le sérieux du dossier mais surtout ce mode d’élevage : « C’est une production et une commercialisation locale qui répond aux besoins du département, tout en créant de l’emploi en structurant la filière. Même si je comprends les craintes des riverains, je ne pense pas qu’il y ait de risque pour le tourisme. » Au niveau environnemental, la SAPN fait valoir un risque de pollution du Drac et de sa nappe phréatique (qui pourrait à terme alimenter la ville de Gap en eau potable) au nitrate à cause d’un épandage des lisiers difficile en raison du gel et de la pente du sol. « La préfecture avait des doutes, levés après modification du plan d’épandage », balaie Marc Viossat. Le collectif prévoit d’ores et déjà une action cet été auprès des touristes « dans un esprit festif », précise Isabelle Jaussaud. Boire pour oublier ?
Clément Chassot
1. Ni le couple Jousselme ni la mairie n’ont donné suite à nos demandes d’entretien.
Cet article a été publié dans le Ravi n°141 en juin 2016