CD 13, un nouveau marché n’a pas LR net
Depuis le 26 mai, Renaud Chervet dort en prison. Ce cadre du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a été placé en détention provisoire et mis en examen dans le cadre d’une nouvelle affaire de corruption qui touche l’institution désormais présidée par Martine Vassal (LR). Cette enquête révélée par Marsactu et le Ravi fait sérieusement tanguer le bateau bleu. Face aux juges d’instruction Guillaume Cotelle et Valéry Muller, le fonctionnaire a reconnu avoir touché de l’argent pour favoriser plusieurs entreprises dont les dirigeants ont eux aussi été mis en examen.
C’est dans son service qu’étaient aussi examinés et passés les marchés publics de travaux forestiers à la charge du département. Pour l’heure, ceux-ci n’ont pas éveillé les soupçons de la justice. Pourtant, les éléments recueillis par Marsactu et le Ravi font peser de lourdes suspicions sur la manière dont ont été menés les appels d’offres. Alors que l’affaire a été rapidement présentée comme une dérive individuelle, le cas que nous révélons montre les failles de l’institution. Les soupçons de fraude émis en interne n’ont pas conduit la hiérarchie administrative et politique du Département à diligenter d’audit ou d’enquête, au moins jusqu’à nos questions insistantes.
Plus embêtant encore pour l’exécutif départemental, l’entreprise familiale à qui aurait pu profiter ces manipulations, le groupe Chailan, a pour actionnaire et ancienne gérante la conseillère régionale Monique Robineau, secrétaire adjointe du parti Les Républicains dans les Bouches-du-Rhône.
Offres douteuses
Depuis un an, ces marchés qui visent l’entretien des domaines départementaux sont à l’arrêt. Le processus de choix des entreprises prestataires a fini par capoter du fait de forts soupçons de favoritisme. Depuis, certains travaux forestiers sont donc réalisés a minima et les entreprises du secteur commencent à s’en émouvoir. C’est que le conseil départemental constitue un client sérieux avec cette série de contrats de 3 millions d’euros hors taxes par an.
Pour comprendre l’histoire, il faut se replonger dans la chronologie de ces marchés publics. Il s’agit de marchés à bons de commande. Pour faire clair, l’institution choisit une entreprise parmi plusieurs candidats. Le lauréat devient alors le prestataire unique de la collectivité. Il intervient à chaque fois qu’elle lui en fait la demande via un « bon de commande ». Lancé une première fois en janvier 2015, sous la mandature du sulfureux Jean-Noël Guérini (ex PS), le marché de débroussaillage est divisé en quatre zones géographiques pour des lots allant de 250 000 à 450 000 euros par an, renouvelables trois fois.
Trois d’entre eux intéressent le groupe Chailan. Pour chaque lot, les propositions de l’entreprise sont équivalentes. La note qui va leur être attribuée diffère pourtant selon le lot choisi. Sur l’un d’eux, celle-ci a été sensiblement améliorée. Justement le lot où la proposition du candidat avait besoin d’un petit coup de pouce pour l’emporter… Face à une telle incohérence, la procédure est annulée.
Le marché est relancé à la rentrée suivante. Les réponses des entreprises, placées sous scellés, sont ouvertes après les vacances de Noël. Le début de l’analyse technique des offres a lieu trois semaines plus tard, le 21 janvier 2016. Nouvelle curiosité : les agents chargés de l’analyse technique découvrent que les prix du groupe Chailan se rapprochent étrangement de leur propre estimation. Celle-ci est pourtant strictement confidentielle puisqu’elle leur sert de base d’évaluation des entreprises. Un détail va attirer leur attention. Dans l’offre Chailan, un des documents a gardé la trace du moment précis où il a été imprimé : alors que les offres ont officiellement été remises un mois plus tôt, celui-ci est daté du mois de janvier ! L’offre Chailan aurait-elle été modifiée à posteriori ? Le CD-Rom censé faire foi, remis en même temps que le dossier papier, est retrouvé vierge.
Alertes snobées
Spécialisé dans l’élagage et le débroussaillage des bords de route, le groupe Chailan n’est pas inconnu des services du CD1 3, pour lesquels il travaille depuis une dizaine d’années sur de petits marchés. Mais gagner un ou deux lots de travaux forestiers aurait un impact non négligeable sur l’activité de l’entreprise familiale, dont le chiffre d’affaire net ne dépassait pas le million d’euros en 2014. Contacté, son gérant Philippe Chailan, le cousin de Monique Robineau, nie toute intervention. Monique Robineau également. « Je ne suis bien sûr au courant de rien, se défend la conseillère régionale. J’ai toujours été droite dans mon action. Nous n’avons ni été entendus par la police ni perquisitionnés. Je ne voudrais pas qu’on utilise cela à des fins politiques. »
Les alertes internes concernant ces marchés n’ont toutefois pas plus ému que ça la présidence du conseil départemental. Informée par l’élue aux domaines départementaux, Corinne Chabaud, du soupçon de fraude, le chef de cabinet de Martine Vassal s’est contenté d’annuler une deuxième fois le marché. Sans diligenter d’enquête interne. Le président de la commission des marchés, Yves Moraine dit de son côté avoir découvert l’affaire avec les appels du Ravi et de Marsactu. Mais refuse d’en faire une polémique. « La procédure a été respectée. Une élue a alerté le chef de cabinet sur un soupçon de fraude et il a arrêté le marché, explique le conseiller départemental envoyé au front par la présidente du CD13. De plus, il y a concomitance entre le moment où Elias Allam [le chef de cabinet, ndlr] est alerté et celui où je déclare sans suite le marché. » Selon nos informations, deux mois passent tout de même…
Alors que la justice accélère par ailleurs son enquête pour corruption présumée, Yves Moraine précise lors d’un nouveau coup de fil avoir annulé une troisième fois l’appel d’offres, qui s’est terminée mi mai : « Puisqu’il fait partie du périmètre de Renaud Chervet, je l’ai de nouveau déclaré sans suite. Ce sont les forestiers-sapeurs du département qui réaliseront ces travaux. Et pour couronner le tout, pour les mêmes raisons, nous allons également saisir le procureur au titre de l’article 40 [qui contraint tout agent public à signaler les délits potentiels dont il aurait connaissance, ndlr]. Cela devrait permettre à la police de trouver les réponses. »
Une présidence en question
Cette réaction paraît bien tardive. Le chef de cabinet de Martine Vassal n’est pas le seul haut cadre de la collectivité à avoir été informé des soupçons de fraude dès cet hiver. D’après les éléments en notre possession, ont été également mis dans la confidence dès la découverte des faux documents : Renaud Chervet, le cadre mis récemment en examen, et son supérieur, Eric Taverni, le directeur général adjoint à la construction, de l’environnement, de l’éducation et du patrimoine, promu le 1er février à la direction de 13 Habitat, l’office HLM du département (1). Ce dernier avait même demandé, fin janvier, une note sur l’affaire à l’attention de la directrice générale des services, la chef de l’administration départementale elle aussi rescapée de l’ancienne majorité. Soit juste dans le bureau en dessous de celui du chef de cabinet… Ce dernier a même reçu avec Yves Moraine, il y a deux mois, une délégation des associations anti-corruption Transparency international et Anticor qui à leur tour, leur ont signalé d’éventuelles dérives sur les marchés à bons de commande.
Mais Yves Moraine n’en démord pas : la nouvelle majorité n’a rien à se reprocher et n’a pas cherché à favoriser l’entreprise d’une élue de son camp. « Aujourd’hui, je ne sais pas, s’il y a eu fraude et si ça a profité à Chailan », se défend le président de la commission des marchés. Et d’insister : « En 2011, il y a eu aussi un article 40, mais qui ne touchait pas le cadre aujourd’hui mis en examen. Même si à titre personnel j’aurais aimé être informé des manquements, je vous rappelle qu’il a été classé par le procureur. »
La défense paraît un peu légère tant les marchés à bons de commande sont dans le viseur depuis longtemps. Un audit externe de 2011, révélé par le Ravi (n°100) et Mediapart, puis un rapport de la chambre régionale des comptes en 2014 ont tour à tour pointé les dérives de ce système. A son arrivée, « la nouvelle majorité n’a pas mis en place toute une série de procédures qui auraient pu être menées pour protéger les marchés publics et les agents appelés à travailler dessus, notamment un audit indépendant », note le chercheur en droit et délégué d’Anticor Adrien Roux. Dans le même temps, les principaux cadres de la collectivité sont restés en place. De quoi s’interroger sur la volonté réelle de changement de Martine Vassal.
1. Eric Taverni n’a pas répondu à nos sollicitations.