Vinci et Bouygues : les dieux des stades
« On va le dire de manière brutale : à droite comme à gauche, on s’est tous fait enfler. » La confession n’est bien évidemment pas du très pieux Gaudin, mais du socialiste Stéphane Mari, président du groupe PS au conseil municipal. Un opposant bien charitable de s’associer au fiasco financier du partenariat public privé (PPP) signé en 2009 par le sénateur-maire LR de Marseille avec Arema, un consortium regroupant Bouygues et la Caisse des dépôts et consignations, pour la couverture et l’agrandissement (60 000 à 67 000 places) du Vélodrome. Un stade déjà rénové en 1998…
A l’issue d’une saison catastrophique de l’OM (13e du championnat Ligue 1), le résultat est en effet sans appel : le choix PPP (à ne pas confondre avec la « presse pas pareille) est bien parti plomber les caisses de Marseille, qui sont plutôt vides. L’idée de confier l’investissement et la gestion (exploitation, entretien et maintenance comprises) du Vélodrome à un tiers contre un loyer annuel étalé sur une longue durée, en l’occurrence 31 ans, pouvait sembler alléchante au départ. Mais elle a tout, aujourd’hui, de la « bombe à retardement », pour reprendre le titre du rapport de la commission des lois du sénat sur les PPP de juillet 2014. Faute de revenus suffisants, c’est en effet la ville qui met la main à la poche.
Annoncé à hauteur de 7,4 millions d’euros, le loyer de l’OM, principal utilisateur de l’enceinte, devrait rarement dépasser les 4 millions d’euros, sa part fixe. Quant aux « namings » (un sponsor achète le droit d’associer son nom à un stage) et autres événements qui doivent aider à payer le loyer annuel de 12 millions d’euros, selon Gaudin, ils se font attendre. Pire, les six matchs de l’Euro 2016, qui ont justifié le projet pharaonique, vont gonfler la douloureuse au lieu de la réduire ! Le budget annexe 2016 du stade indique en effet qu’ils coûteront presque 3,5 millions d’euros, malgré 2,4 millions de recettes (1). En attendant, au lieu de l’opération blanche pour la ville et les Marseillais promise (juré) par Gaudin, ses services signent de gros chèques de subvention d’équilibre à Bouygues : 13,468 millions d’euros en 2015, 15,314 millions d’euros cette année, selon le budget annexe. « Rien qu’avec les 93 millions d’euros dûs au taux d’intérêt imposé par Arema – 8,25 % au lieu de 4,37 % si la ville avait emprunté elle-même -, vous imaginez le nombre d’écoles, de crèches, de piscines, de stades, de bibliothèques que l’on pourrait construire ? », se désespère Stéphane Mari. On imagine.
A ce rythme, la facture finale, plus proche de 500 millions d’euros que des 268 millions d’euros annoncés par Jean-Claude Gaudin, selon le rapport d’octobre 2013 de la Chambre régionale des comptes (CRC) sur la gestion de la ville de Marseille, pourrait même être explosé. De l’aveu de Louis Vallernaud, le président de la chambre régionale des comptes de Paca, lors de l’examen du partenariat public privé du stade Vélodrome la CRC « découvrait les PPP ».
De fait, son rapport sur celui du grand stade de Nice (une enceinte de 35 000 places), remporté par Nice Eco Stadium, un consortium mené cette fois par Vinci, prouve qu’élus et bétonneurs ne sont jamais en manque d’imagination. Les magistrats sont tombés sur de nouvelles pépites, évidement toujours au bénéfice des marchands de béton. Exemples : la prise en charge par la ville de 72 millions d’euros d’impôts et taxes diverses sur les 27 années du contrat, le renoncement à 3 millions d’euros de pénalités pour le retard de livraison (2 mois) ou encore le règlement de fait par la commune du gros œuvre du centre commercial de 22 000 m2 installé sous le stade. C’est bien connu, quand on aime, on ne compte pas !
Et Christian Estrosi, maire LR de Nice et nouveau président de Région, a décidé de ne pas compter. « Comme tous ses grands chantiers, il fallait que le stade sorte de terre avant les municipales », soupire Xavier Garcia, secrétaire départemental du PS des Alpes-Maritimes. Résultat, la CRC estime un coût final du projet plus proche de 400 millions d’euros que des 225 millions annoncés par le maire de Nice et nouveau président de Paca. Avec, là encore, beaucoup d’incertitudes sur les recettes. Sans oublier les vices cachés, comme le soupçonne l’enquête préliminaire ouverte début 2015 sur les conditions d’attribution du marché à Vinci… (2)
Malgré tout, Gaudin comme Estrosi n’en ont jamais démordu : le PPP n’était pas la moins mauvaise des solutions, mais la meilleure. En mars dernier, Roland Blum, l’adjoint aux finances de Gaudin, le martelait encore : « Le nœud du problème est idéologique. Ce que ne supporte pas l’opposition, c’est qu’on ait fait un partenariat public privé pour rénover le Vélodrome […] Mais il faut être honnête, oui ça a un coût » (Laprovence.fr, 11/03). Et pas un petit !
Jean-François Poupelin (article paru dans le Ravi n°141 publié en juin 2016)
1. Si l’UEFA, l’organisatrice, paie un loyer pour chaque match, elle impose que les frais de fonctionnement et les investissements soient à la charge de la ville. Et garde pour elle toutes les recettes (billetterie, marketing…).
2. Mediapart, 15/04/2015. Malgré nos tentatives, nous n’avons pas réussi à joindre le parquet national financier, en charge de l’enquête.