Cuisiner pour sa gueule
Les périodes de la vie se répètent parfois et [allons bon !], revoilà la solitude. Cette chienne galeuse est revenue se coucher à mes pieds. Et je dois réapprendre à vivre avec et pour moi-même sans me plaindre, car l’écho des idées noires sur les murs froids se répercute longtemps, et comme plein de petites chauves-souris visqueuses, envahit mon crâne – ce devant quoi je m’insurge et me cabre et dis « non-non », merci, « ça va – ça va ».
Au contraire, chercher le point haut au coin des lèvres et au milieu du front la lumière ascendante et créatrice. Se donner en travers des fesses le coup de fouet salvateur qui ouvre les mirettes sur ce fantastique espace de liberté dans toutes les directions. Et renouveler chaque instant cette revigorante flagellation du bonheur jusqu’à ce que, l’habitude aidant, je ne laisse plus l’encre perfide pénétrer partout dans mon âme et je parvienne éventuellement même à colmater durablement les fuites et à nettoyer le merdier ici gisant.
A l’instar alors de Robinson qui a dû se payer une redoutable fringale après avoir retrouvé ses esprits en débarquant sur son île, je foule le carrelage – presque – vierge de ma cuisine et je projette de me taper un festin aussi fantastique que l’était mon désespoir avant que je ne suive le susdit cheminement de pensée.
Or l’idée de passer des heures à préparer à manger pour sa seule personne n’est pas la plus évidente, ce qui contraste avec l’envie de faire un repas de fête pour exorciser son chagrin.
Il se trouve qu’un punk haut en couleur qui tient son stand sur le marché de Briançon, et qui prend un plaisir non dissimulé à envoyer chaleureusement péter ses clients, m’a refilé un magnifique safran de sa production et que, depuis, je porte sur moi ces précieux pistils.
Je prépare donc un beurre safrané qui va agrémenter tous mes repas de la semaine d’une bonne dose de « je-ne-me-laisse-pas-aller » tout en me cantonnant à une certaine simplicité de préparation.