4 livres et 1 album ravissants
Féministes, Inch’Allah !
« Pense faux, mais pense par toi-même ! » C’est cette phrase écrite par Amal, l’une des protagonistes tunisiennes du collectif Chaml (lire article p.19), qui reste en tête lorsqu’on referme le livre de Charlotte Bienaimé. Elle est allée à la rencontre des Nasawiyat, féministes arabes en Tunisie, Algérie, Maroc et Egypte. Ce livre est un beau complément aux portraits sonores réalisés en 2015 par la documentariste pour France Culture (en replay sur le site). Elle fait passer un message essentiel en donnant la parole à ces femmes : il n’y a pas qu’un féminisme occidental et blanc. Chaque femme lutte à son rythme, à sa mesure et avec ses propres armes, et chaque lutte est estimable. La journaliste fait aussi entendre des femmes voilées, un choix social ou religieux, mais qui n’est pas forcément un frein au militantisme. Certaines défendent d’ailleurs le droit au divorce, à l’avortement ou à la liberté sexuelle. Le combat de ces femmes au quotidien est courageux, plein d’espoirs et impose le respect. Et l’une d’entre elles de conclure : « La meilleure façon de changer les choses, c’est de réussir sa vie, d’arracher sa liberté et d’assumer son indépendance jusqu’au bout. »
S. R.
Féministes du monde arabe, « enquête sur une génération qui change le monde » de Charlotte Bienaimé. Ed. Les Arènes. 293 pages. 18 euros.
Les mystères de l’Iran
Après avoir inventé le polar à l’iranienne, Naïri Nahapétian tout en poursuivant son exploration littéraire des méandres du régime islamique s’essaye désormais à un nouveau genre : le roman d’espionnage. Dans Le mage de l’hôtel Royal, si on retrouve l’agent nommé Parvitz, personnage de plus en plus fantomatique au centre du premier tome de cette série, c’est Florence Nakash qui mène cette fois-ci l’enquête. Agent de la DGSE placardisée dans un service « d’identification des morts aussi inutile qu’éphémère », elle doit dénouer la véritable identité du mage Farzadi retrouvé mort dans un hôtel de luxe du lac Léman. De Genève à Téhéran, en passant par Paris, le lecteur croisera une mystérieuse Irano-Américaine voilée mais en cuissardes, un journaliste nommé Majnoun Hafez (prénom d’un héros romantique persan et nom d’un illustre poète), un manuel d’alchimie de Geber… La victime est-elle vraiment prestidigitateur ou bien un agent envoyé par le régime des mollahs à la veille de cruciales négociations sur le nucléaire ? L’intrigue, teintée de tragédie, permet d’approcher la complexité humaine et politique du « dossier » iranien : le douloureux exil des opposants, la modernité d’une société soumise aux répressions arbitraires, l’imbroglio géopolitique… Une réussite.
M. G.
Le mage de l’hôtel Royal, par Naïri Nahapéthian, éditions de l’Aube, collection « Aube noire », 190 pages, 17,80 euros
Plongée dans Marseille
Après le Marseille de Kad Merad et celui de Netflix sauce Depardiou, voici le Marseille de Marie-France Etchegoin. C’est cette dernière, ancienne grande reportrice au Nouvel Observateur, qui emporte de très loin la mise : aucune mièvrerie ni collection de clichés dans son livre qui s’emploie à décrire ce qu’il y a de commun dans une ville au premier abord totalement fracturée entre ses quartiers les plus pauvres, où prospère le trafic de drogue, et ses cercles les plus privés, où se rencontrent les privilégiés. C’est aussi son Marseille qui gagne la palme du romanesque tragique alors que tout ce qui y est raconté est bien réel. Entre le récit d’un règlement de compte à la cité de la Castellane et celui, désormais bien connu, de la chute des frères Guérini, le cercle des nageurs se pose au carrefour des deux mondes. Mention spéciale au portrait esquissé de Paul Leccia, l’inamovible président du luxueux club de natation, ou encore aux pages sur un autre club nautique plus discret encore, celui de La Pelle, prisé par la très haute bourgeoisie. Deux bassins mis en perspectives avec la piscine Nord en ruine et celle de la Castellane, menacée elle aussi de fermeture, gardiennée par le dernier frère Zidane à ne pas avoir déserté la cité. Une triste métaphore aquatique d’un naufrage politique.
M. G.
Marseille, le roman vrai, par Marie-France Etchegoin, éditions Stock, 377 pages, 20,99 euros.
Repentance médiatique
Le service public de l’information… Vieille chimère à l’heure où le secteur des médias est trusté par des bétonneurs, des marchands d’armes et des nouveaux golden boys qui n’ont que faire de la déontologie journalistique. Ce recueil de chroniques écrites par Jean-Marc Four, le directeur de la rédaction de France Inter, forme un corpus de critique des médias. Et pour une fois, elle vient de l’intérieur des médias dit de masse. Et ça fait plaisir ! Le journaliste évoque « une cicatrice professionnelle, un tournant » pour parler du 21 avril 2002 lorsque Jean-Marie Le Pen accède au 2nd tour de la présidentielle. Les médias ont, pense-t-il, toute leur responsabilité dans cet événement politique majeur, notamment en montant en épingle des faits divers. Il regroupe ici ses chroniques sous plusieurs thèmes pour s’en prendre à l’entre-soi politico-médiatique parisien, le sensationnalisme, le suivisme, l’influence du pouvoir et de la communication, la fin du respect de la vie privée,Twitter, « le dernier avatar du dîner en ville »… Avec des exemples précis : Hollande sous la pluie, Nabilla, la pluie en automne, la mort du PDG de Total, l’affaire Bettencourt… Un beau mea culpa, tout de même mesuré envers son employeur, qui reste hélas une exception dans les discours des shamans médiatiques français.
De la mécanique médiatique (l’info, un service public) par Jean-Marc Four. Editions Lemieux, 150 pages, 12 euros.
C. C.
Papet J dans le vent
Vaqui lo polit mes de mai avec le retour des beaux jours et de Papet J ! Le ragga MC co-fondateur du Massilia Sound System reprend en effet ses apéros du soleil et poursuit sa tournée, dont le Ravi est partenaire, à l’occasion de la sortie de son album solo Raggamuffin Vagabond. Solitaire n’est pas vraiment le terme exact puisque Jali est accompagné par les Niçois du 149 Band, soit six musiciens orchestrant avec talent la rencontre amoureuse entre musique jamaïcaine et reggae marseillais. Quelques « cònòs » argueront peut-être qu’il n’y a rien de bien nouveau dans les thèmes abordés par le troubadour occitan depuis maintenant trente ans. Mais qui regrette sérieusement que Bob Marley n’ait jamais dansé la lambada ou n’ait pas inventé le phrasé vibrato à la mode RnB ? Papet J est dans la place, du genre de celles occupées ces dernières semaines pour une « Nuit Debout ». Lorsque « nos cerveaux sont perfusés, anesthésiés », quand « le Front national remplace le Front populaire », lorsque « je galère, tu galères et que la plupart des élus n’en ont rien à faire », pour « changer la situation », il chante que « la parole est clé ». Et que justement parce qu’elle est souvent confisquée, il faut s’en saisir pour réfléchir et faire entendre tous « les murmures portés par le vent ».
M. G.
Raggamuffin Vagabond, par Papet J & le 149 Band, 15 euros sur www.its-ok.fr