Parrainages varois
« La chronologie est toujours essentielle mais est-ce que tout ça a encore une influence sur le corps électoral ? », s’interroge Jean-Pierre Bonicco (1), ancien journaliste à Var-Matin qui a couvert pendant vingt ans les faits divers et l’actualité judiciaire du département. Il a suivi à l’époque les déboires des deux parrains du Var, Soldani maire socialiste de Draguignan et Arreckx, maire UDF de Toulon. Les deux s’entendaient plutôt bien se répartissant les territoires, pour Soldani l’arrière pays, pour Arreckx le littoral, jusqu’à ce que la préfecture soit transférée à Toulon en 1974.
En 1984, entre les deux tours des municipales, guet-apens ou mise en scène, Soldani reçoit une décharge de fusil de chasse dans l’épaule. L’affaire n’a jamais été élucidée, les éléments à expertiser envoyés à Marseille ayant disparu mystérieusement. « Le vieux lion » socialiste perd les élections et Draguignan passe à droite. L’année suivante après 30 ans de règne Soldani, le Conseil général du Var bascule et Arreckx en devient président. C’est la fin du Var « rouge ». La gauche agonise dans l’opposition jusqu’à disparaître totalement de l’hémicycle en 2015. Ses sièges étant désormais occupés par le FN. « A l’époque on était un parti d’élus, aujourd’hui on doit être un parti de militants », note Robert Gaïa, ancien député PS de la deuxième circonscription du Var de 1997 à 2002 (2).
Depuis 1985, le département du Var est resté à droite. En août 1994, éclaboussé par l’affaire Yann Piat, et reconnu coupable d’avoir touché des pots de vin pour la construction de la Maison des technologies à Toulon, Arreckx est incarcéré à la prison de Beaumettes à Marseille. C’est Hubert Falco, passé de gauche à droite, alors « dauphin » d’Arreckx, qui prend la présidence. Viendra ensuite Horace Lanfranchi en 2002, lui aussi un socialiste rallié à la droite, et depuis 2015, Marc Giraud. Ce dernier est actuellement mis en examen pour « détournement de fonds publics par dépositaire ». Il a été placé à la présidence du Conseil départemental par Hubert Falco, sénateur-maire de Toulon, pas incommodé par les nombreuses enquêtes concernant déjà Carqueiranne, dont Marc Giraud a été maire pendant 18 ans, relatives à une possible prise illégale d’intérêts et infraction à la législation sur l’urbanisme (Cf le Ravi n°111, octobre 2013).
« Soldani, je l’ai soutenu et combattu mais c’est un type qui a créé un tissu social de solidarités auquel Arreckx n’a pas touché mais que les suivants, surtout maintenant ont cassé, explique Robert Gaïa. Alors, bien sûr, c’était de la politique à l’ancienne, avec du clientélisme, qu’on appelle "proximité" quand on est de gauche ! Mais par rapport au business d’aujourd’hui, Arreckx était un voleur de poules. A l’époque on travaillait avec le petit entrepreneur du coin, on n’était pas dans les Pos et l’immobilier. C’était grave mais ce n’était rien par rapport à ce qui se manipule maintenant. » Contrairement à Soldani, Arreckx avait préparé sa succession. S’il était « le parrain du Var », Falco en sera « le patron », celui qui tire les ficelles car si le terme diffère, la fonction désigne toujours celui qui a le dernier mot !
Pourtant fabriqué par Arreckx, Falco a facilement « renié le père », explique Gaïa. Mais un pin ne fait pas de chichourles… Même « machine à embauches », la mairie de Toulon est un des gros employeurs de la ville, et le Département le premier du Var avec 5500 employés en 2015 (3). « La corruption, le clientélisme et le paternalisme, voilà ce qu’Arreckx nous a légué et qui gangrène le Var encore aujourd’hui. Ce qui a pour conséquence le conservatisme et le nihilisme », note André de Ubeda, secrétaire du PCF varois et jeune militant communiste à l’époque du « phénomène » Arreckx. Et de rappeler que le clientélisme tire tout de même l’un de ses noms fleuris, « l’escartefiguisme », d’un des maires de la ville, Marius Escartefigue (1904-1909) auquel Arreckx attribuait la citation : « La justice pour tous, les faveurs pour mes amis. »
Soldani a tout de même légué au Var le roi des ordures Pizzorno, que le président du Conseil général impose dans les années 70 comme ramasseur des poubelles des communes environnantes. Qui s’acoquinera par la suite avec François Léotard (UDF), ancien ministre et maire de Fréjus, qui était encore il y a peu administrateur du groupe pour la modique somme de 120 000 euros par an. Les maires passent, les couleurs politiques se confondent et Pizzorno est toujours là… « Ce n’est peut-être pas pire qu’ailleurs mais c’est plus pérenne, mieux organisé, plus tchatcheur aussi, s’inquiète De Ubeda. Mais quand il y a cette pesanteur, les gens s’abstiennent de réfléchir. Il y a une réelle atteinte à la démocratie. » En 1995, Le Chevallier (FN) a été élu sur des terres labourées par le clientélisme et l’affairisme transpartisan. Si on en croit les scores du FN aux dernières élections, le terreau est encore fertile…
Samantha Rouchard
1. L’affaire Yann Piat, autopsie d’un crime exquis (1998) et Contrats sur la démocratie, Paca ces élus qu’on assassine… (2008).
2. Condamné en 2002 à six mois de prison avec sursis pour favoritisme dans l’attribution du marché des cantines scolaires de la ville de Toulon en 1997. Elu d’opposition à l’époque, Le Chevallier, quant à lui, avait été relaxé.
3. Source Alteréco