Gros vent sur le Haut Buëch
Avis de tempête sur le Haut Buëch, un territoire de vallées et de montagnes particulièrement préservé des Hautes-Alpes. En cause, un projet de six éoliennes de 150 mètres et de 16 MW sur les communes de La Haute-Beaume (10 âmes) et de Montbrand (60 habitants) et leur montagne d’Aureille, qui culmine à 1500 mètres, porté par la multinationale canadienne Boralex, le troisième opérateur français. Autant dire que ces moulins à vent ne passeront pas inaperçus dans le paysage.
Mais l’impact visuel n’est pas la seule raison qui fait se lever vent debout les opposants au projet rassemblés dans l’association Haut Buëch Nature, forte d’une centaine d’adhérents. « Notre territoire est le seul du 05 à être impacté par l’éolien. Une centaine d’aéromoteurs doivent y être installés », s’inquiète Jean-Philippe Salley, son président. Qui dénonce également l’absence de « démocratie participative » du projet Boralex. « On n’en a été informé qu’en 2012, alors qu’il remonte à 2008 », insiste cet assureur. Même omerta du côté de la préfecture et de la multinationale : l’association a saisi la commission d’accès aux documents administratifs pour pouvoir consulter le permis de construire et a contacté Boralex pour avoir accès à son étude d’impact. En vain (1). « Boralex n’a pas bonne réputation. Le projet Aureille a une visibilité monstrueuse, mais il n’y a pas eu de concertation », déplore un acteur du secteur. La multinationale s’est en effet contentée du minimum, une communication à coups de réunions d’information ou de « Journal de l’éolien ».
« Torchon »
L’association met également en avant une étude de 2010 peu favorable au projet. Réalisée sur la potentialité « éolien » du territoire, ses conclusions sont très fraîches concernant l’intérêt de la montagne d’Aureille. Elle rappelle qu’un premier projet y a été abandonné à cause de « contraintes de raccordement et d’un [vent] non satisfaisant car irrégulier » et note que « l’impact visuel ainsi que les travaux liés à l’instauration d’éoliennes auraient des conséquences néfastes sur le milieu ». « Un torchon », tranche Roger Aquino, le maire de la Haute Beaume, qui y a participé. Michel Truc, son collègue de Montbrand, assure, lui, que la montagne d’Aureille est au contraire « un beau gisement ».
Pour en avoir le cœur net, il faudra la validation des documents administratifs. Déposé en juillet 2015, le permis de construire est bloqué par les services de l’Etat. Selon nos informations, ces derniers ont demandé des relevés complémentaires à l’étude d’impact sur la faune et la flore. Pour le plus grand bonheur de HBN, qui parle de « travail bâclé », de « copié-collé d’études anciennes ». Michel Truc dénonce de son côté une rétention de l’Etat : « Le projet concurrence le nucléaire qui perd beaucoup d’argent avec EDF et Areva. » On frise la théorie du complot…
Un genre très partagé. Jean-Philippe Salley, qui promet des recours et rêve presque d’une Zad, reprend ainsi à son compte la doxa de la Fédération de l’environnement durable. Une structure revendiquant 260 associations, à laquelle HBN a adhéré, et réputée très proche des pro-nucléaires (2), qui dénonce autant les impacts paysagers des éoliennes que ceux supposés sur l’immobilier, la santé, ou leur rendement énergétique ridicule et leur « perturbation de la télévision » ! Dernier argument asséné par l’assureur : « L’éolien, c’est comme les agrocarburants, une fausse bonne idée, qui ne profite qu’aux industriels. »
Jackpot
Ce qui n’est souvent pas faux. Si le projet se concrétise, Boralex va toucher le jackpot. Afin de développer les énergies renouvelables, les industriels du secteur bénéficient d’aides de l’Etat, comme pour toutes les ENR. En l’occurrence, une obligation d’achat par EDF de l’énergie produite et des tarifs réglementés pendant 15 ans. Alors que les investissements sont amortis en 7 ou 8 ans…
Mais pour les communes, le vent est aussi une ressource plus qu’intéressante. Celles de La Haute Beaume et de Montbrand vont toucher chaque année 9000 euros HT par éolienne en contrepartie d’un bail emphytéotique de 30 ans, renouvelable une fois, sur plus de 60 hectares de la montagne. Roger Aquino évalue même le pactole à 15 000 euros avec les diverses taxes (foncières, etc.), ce qui doublera au minimum son budget annuel d’une trentaine de milliers d’euros (3). « L’éolien peut nous permettre de survivre sur nos territoires et de créer des activités qui pourraient attirer des gens ou des projets pour les jeunes », argue Michel Truc.
En contrepartie, les deux maires promettent un projet exemplaire. « L’argent pour le démantèlement est provisionné, le raccordement au réseau sera souterrain, les chemins d’accès au site pour les travaux existent déjà et les parcelles impactées sont inaccessibles et/ou inutilisables », jure Roger Aquino. Tout en tançant : « C’est ça ou une centrale nucléaire ! »
« Il y a des oppositions sur tous les projets énergétiques. C’est virulent, souvent pas rationnel », déplore Jérôme Lelong d’Enercoop Paca, un fournisseur d’électricité 100 % renouvelable. Et de prêcher : « La solution, c’est de faire des projets énergétiques des projets citoyens qui apporteront des bénéfices malgré les impacts. Mais des bénéfices pour les territoires et les habitants et pas pour les industriels. » Il faudrait que le vent tourne…
Jean-François Poupelin
1. Sollicités, les deux compères se sont contentés d’un laconique « le dossier est en cours d’instruction ».
2. Liberation.fr, 26/05/2005
3. Les communautés de communes, les conseils départementaux et les régions perçoivent également leur obole sur les projets éoliens.