Le Liban et ses ordures
Survol de la forêt de Baabda, visite des ruines antiques de Byblos, soleil couchant sur la corniche beyrouthine… Dans sa vidéo promotionnelle, le ministère du tourisme montre un Liban de carte postale vu du ciel. En pleine crise des déchets, la chose est malvenue. Le détournement qu’en fait le collectif citoyen « Vous puez » est sans appel : leur drone filme une autre réalité, celle d’un pays asphyxié depuis plus de huit mois par l’amoncellement d’ordures.
Le 17 juillet 2015, la décharge de Naamé, ville côtière au sud de Beyrouth, ferme ses portes. Initialement temporaire, elle est devenue en dix-huit ans le plus gros site du pays avec 18 millions de tonnes de déchets. Ce qui ne peut plus entrer à Naamé jonche désormais les rues, les rivières, les forêts… Nombre de décharges sauvages fleurissent depuis l’été dernier. En décembre, une étude de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) met en lumière la présence de taux alarmants de gaz cancérigènes à proximité des ordures brûlées en plein air. Le risque de cancer y toucherait 37 adultes et 186 enfants par million d’habitants, dans un pays qui en compte 4,5 millions.
« C’est la première fois que le Liban connaît une telle mobilisation qui ne soit ni à l’appel d’un parti politique ni d’un syndicat, explique Wadih Al-Asmar, secrétaire général du Centre libanais des droits humains. Car le désagrément olfactif et sanitaire des déchets n’épargne aucune classe sociale et aucune confession. Les citoyens demandent simplement le droit à vivre dans une société qui respecte leur santé. » Il est membre du collectif « Vous puez » qui depuis neuf mois descend dans les rues pour hurler son ras-le-bol. Si les déchets sont le déclencheur, les Libanais demandent surtout l’abolition du confessionnalisme politique qui plonge le pays dans l’immobilisme et empêche aussi depuis plus d’un an l’élection d’un président.
Mais sans syndicats indépendants et sans échéances électorales (1), le collectif a le plus grand mal à faire pression. « Le gouvernement est totalement corrompu, poursuit Wadih Al-Asmar. Car les déchets au Liban ne sont pas un problème technique mais de caisse noire qui permet d’alimenter les politiques. Ce n’est pas pour rien que le traitement des déchets coûte trois fois plus cher qu’ailleurs en Europe. » Une enquête est ouverte contre la société Sukleen – leur Pizzorno à eux – accusée de « gaspillage d’argent public ».
Entre exporter ses ordures ou créer de nouvelles décharges côtières, le gouvernement se tâte. Alors en attendant, fin mars, il a rouvert la décharge de Naamé, à titre provisoire, paraît-il… « C’est un grand échec du gouvernement qui, après des mois de manifestations et de propositions de solutions alternatives durables, en vient à remblayer une vallée ne supportant plus les déchets et dont les rejets liquides se déversent dans la Méditerranée, s’insurge Paul Abi Rached, président du Mouvement écologique libanais (MEL) regroupant une soixantaine d’ONG pour lesquelles tout le pourtour méditerranéen doit se sentir concerné (1). Et de conclure : « Mais c’est le début d’une révolution politique au Liban, qui aura commencé dans l’écologique. »
Samantha Rouchard
1. En mai, des élections municipales se tiendront. Des listes citoyennes sont en préparation.