Confinés dans 9 mètres carrés
Confinement, deuxième semaine : tous les étudiants de la région ont quitté les cités universitaires. Tous ? Noooon, d’irréductibles jeunes précaires logent encore et toujours dans leur chambre étudiante ! Si le Crous a encouragé les occupants des cités U à rejoindre le cocon familial, en supprimant notamment le préavis d’un mois et en suspendant les loyers de ceux qui suivraient cette recommandation, certains ont préféré rester dans leur logement étudiant, n’excédant pas 20m2 pour les plus chanceux.
Les quelques naufragés qui continuent à occuper les cités universitaires d’Aix-en-Provence et de Marseille composent au jour le jour pour faire fi de l’isolement et du manque d’espace. « C’est compliqué parce que ce n’est généralement pas un endroit où l’on vit. On y dort, parfois on y mange, mais ça s’arrête là », explique Rosemonde, étudiante en Langues étrangères appliquées à la Faculté de lettre d’Aix, logée à la cité universitaire des Gazelles. Pour elle, se confiner dans sa chambre de 9m2 n’a pas vraiment été un choix. À tout juste 18 ans, elle a « été mise à la porte il y a quelques mois par ma mère, donc il n’était pas envisageable de retourner vivre avec elle. D’autant qu’elle travaille avec des personnes âgées, et que mon beau-père a une santé fragile » raconte-t-elle.
Rester pour protéger ses proches
Baptistine, doctorante en musicologie et locataire d’un studio dans la résidence de la Sainte Baume à Marseille, voit dans ce confinement une « opportunité d’avancer plus rapidement sur ma thèse, bien que je manque de ressources et de matériel, notamment de livres ». À 27 ans, elle n’imaginait pas retourner chez ses parents, et craignait de les mettre en danger. « Ils vivent dans l’Hérault, une région qui a été davantage touchée que la nôtre, et sont tous les deux immunodépressifs. Ça n’aurait pas été responsable de retourner auprès d’eux », détaille-t-elle.
Pour Ugbad, logée dans une chambre de 11m2 aux Gazelles à Aix, la situation est encore différente. « J’aurais aimé rentrer mais ma famille habite Mulhouse. Étant donné la situation là-bas, j’ai préféré rester. Pour l’instant ça va, mais j’ai peur de devenir folle toute seule dans ma chambre. Peut-être que je finirai par rentrer en Alsace si ça devient trop compliqué. Pour le moment j’essaie de m’occuper l’esprit, mais ce n’est pas toujours facile, surtout que le wifi de la résidence fonctionne mal… », déplore l’étudiante en droit. Un problème de connexion internet déjà signalé avant le confinement, que le Crous essaie de résoudre tant bien que mal. « C’est vrai qu’aux Gazelles, c’est un problème, concède Marc Bruant, directeur général du Crous Aix-Marseille Avignon. On a réussi à trouver une solution dans certains pavillons, mais pas partout. On y travaille, on a bien conscience qu’internet n’est pas optionnel pour les étudiants en ce moment. »
Jobs étudiants annulés
La priorité est aussi à l’accompagnement des étudiants pour éviter que leur santé mentale et physique ne se détériore. « Ils ont accès à l’aide de psychologues, en ligne ou par téléphone, mais aussi à des sophrologues, ajoute Marc Bruant. On met également en place progressivement des sessions de yoga en direct sur internet, des cours de danse, de chant… pour limiter l’isolement et l’inactivité. Le personnel d’accueil est encore mobilisé dans les cités, on essaie d’être présents pour les étudiants autant que la situation le permet. »
Pour autant, des inquiétudes persistent. Pour Baptistine, ce sont les finances qui posent problème : « Je devais commencer à travailler début avril dans le tourisme. Je comptais sur ce revenu-là, et c’est certain qu’il va manquer. Je ne sais pas encore comment je vais m’organiser. » Pour venir en aide aux étudiants qui vivent de petits jobs qu’ils ne peuvent plus exercer du fait du confinement, l’Union nationale interuniversitaire (Uni), syndicat étudiant de droite, appelle sur son site internet « le gouvernement à mettre en place des mesures de soutien et demande la création d’un ticket restauration étudiante ». À défaut d’accéder à la seconde demande, l’université d’Aix-Marseille fait circuler par mail à ses étudiants un questionnaire permettant d’évaluer les difficultés rencontrées, aussi bien financières que sociales ou physiques.
Rosemonde, elle, se demande si elle va pouvoir valider sa première année de LEA, la continuité de l’enseignement peinant à se mettre en place : « Je devrais suivre une douzaine de cours en ce moment, mais seulement deux nous ont été transférés. On ne peut pas faire de cours magistraux par vidéo, parce qu’on est trop nombreux. C’est compliqué et inquiétant, mais je ne blâme pas le corps enseignant. C’est difficile pour tout le monde. »
Retrouvailles à 20h00
En attendant la fin du confinement, chacun a ses petites combines pour faire face à l’isolement et au manque d’espace. On lit, on découvre des séries, des films (quand le wifi le permet), on récure les quatre coins de sa chambre. « Ça n’a jamais été aussi propre chez moi ! Mais dans 9m2, le ménage est vite fait. Donc j’ai une nouvelle passion, ce sont les tutoriels de maquillage, que je reproduis à partir de vidéos YouTube ! », relativise Rosemonde. Les réseaux sociaux deviennent primordiaux, pour conserver une vie sociale et maintenir le lien avec les proches. « J’appelle mes parents et mon copain plusieurs fois par jour, et tous les soirs mes trois frères et sœurs et moi on se retrouve pour un petit apéro vidéo », décrit Baptistine. Elle développe aussi sa créativité : « Je suis artiste sonore, donc je profite du confinement pour me lancer un défi : publier une création artistique par jour sur ma chaîne YouTube, que j’ai créée il y a quelques mois. Ça me distrait, et j’espère que ça distrait aussi les autres ! » On se raccroche à la solidarité entre étudiants, on échange sur les groupes Facebook des résidences et on applaudit aux fenêtres tous les soirs à 20h00. « C’est mon moment préféré de la journée. On se retrouve quelques minutes, pour encourager les soignants, les caissiers, les éboueurs, les postiers… Ça fait beaucoup de bien », se réjouit Baptistine. Malgré la surface limitée de leur espace de confinement, et tous les désagréments qui viennent avec, les étudiants essaient de garder le sourire, en attendant, comme tout le monde, que ça passe…
La chaîne YouTube collaborative de Baptistine : Le Plak’Art de Baptistine