Chômeurs de longue durée en CDI
« Non, on n’a pas tout essayé contre le chômage ! », clame Isabelle Loss, conseillère municipale, devant un aréopage de chômeurs domiciliés à Jouques (13), petite commune de 5 000 habitants. Aujourd’hui se tient dans une salle municipale la troisième réunion de préparation d’une expérimentation menée par ATD quart monde (1) intitulée « territoires zéro chômeur de longue durée ». Impulsée dès 2012 par l’élue, parallèlement consultante et professeure de psychologie du travail, la démarche a séduit la mairie, étiquetée apolitique.
Ce dispositif dont les premiers pas remontent à 1995 a été repris par un député (PS), Laurent Grandguillaume, aboutissant à une proposition de loi pour lancer une expérimentation sur 10 territoires. Elle a été votée par l’Assemblée à l’unanimité en décembre dernier puis par le Sénat et Jouques devrait se lancer à l’automne prochain pour cinq ans. Le principe est assez simple : rediriger les dépenses sociales affectées aux chômeurs de longue durée (33 milliards d’euros selon l’association) vers des contrats en CDI pour développer des « travaux et services utiles aux habitants » et répondre à des besoins non satisfaits. Avec comme principe de base le volontariat.
Sur les 140 chômeurs de longue durée que compte la commune, une trentaine se sont pour le moment impliqués. Aujourd’hui, après avoir rappelé le but du dispositif, des groupes de travail sont formés pour imaginer les travaux éventuels qui pourront être accomplis. Sur la base d’idées issues de l’Agenda 21 de la municipalité, des propositions émergent : recyclerie, pedibus scolaire, maison des produits locaux, jardin collectif, tourisme vert… « Vous devrez vous positionner selon vos compétences mais surtout selon vos envies », rappelle à tous Isabelle Loss. Une impression ressort immédiatement : à l’opposé d’un énième rendez-vous Pôle Emploi, les chômeurs sont invités à participer, à être créatifs, à devenir acteurs de leur commune. « Cet aspect-là est essentiel, acquiesce Claire Marche, bénévole très active d’ATD quart monde qui pilote le projet à Jouques. Ce sont eux qui prennent en main le projet et qui connaissent le mieux les besoins et les freins du territoire. »
Autour de la table, quatre femmes. Elles sont nombreuses dans la salle. Attika Chekarna s’intéresse à des cours de français qu’elle pourrait donner. Cette ancienne documentaliste, sans moyen de mobilité, recherche un emploi depuis 5 ans. Elle aimerait aussi créer des évènements artistiques parce que « Jouques, c’est assez calme ». Roselyne Rosado, 59 ans, est au chômage partiel depuis 5 ans. Elle a bien bénéficié d’un contrat aidé à la maison de retraite mais qui n’a pas été renouvelé. Le recyclage l’intéresse : « même si on préférerait trouver quelque chose dans sa branche, l’important est de remettre un pied dans l’emploi. » Nicole Jacopin, « assistante trilingue dans la logistique », cherche du boulot depuis un an et demi. Enfin, Carole Deroisy, qui a travaillé dans l’aménagement du territoire, milite pour la création d’un parc de loisirs et la mise en place d’un pedibus.
Si au début, le projet les a surprises, elles trouvent maintenant ça « génial ». « On ne va pas limiter nos recherches là-dessus mais cela fait du bien de rencontrer des gens, de trouver des profils similaires, de se donner des idées… », témoignent-elles. L’adjointe à l’emploi et directrice du CCAS, Claude Masset, est aussi de la partie. Elle explique pourquoi cette expérimentation est primordiale pour Jouques : « le SCOT (2) ne nous permet pas d’installer des zones d’activités et donc d’attirer de nouvelles entreprises. Et les problèmes de mobilité, indispensable pour trouver un emploi, sont nombreux… On ne vit pas avec un RSA ! Il nous faut absolument trouver des solutions. Si en plus elles sont d’utilité publique… » Elle entrevoit des débouchés dans le tourisme et la mise en valeur du patrimoine de cet ancien village romain.
Ne reste plus qu’à lancer la machine et à se coordonner avec les deux associations spécialisées dans l’insertion, nommées « entreprises à but d’emploi », qui chapeauteront le tout. La principale difficulté consiste à créer des activités qui ne rentrent pas en concurrence avec d’autres entreprises du territoire. Ce qui sera tranché par un comité local de suivi composé de l’équipe du projet, des représentants associatifs et des entreprises à but d’emploi, un agriculteur et un demandeur d’emploi…
Quelles sont les limites de ce concept ? Il pourrait être politiquement instrumentalisé quand nombre d’élus n’ont que le mot « assistanat » à la bouche et attisent la compétition entre « bons » et « mauvais » chômeurs. « Nous serons très vigilants là-dessus, nous ne voulons pas être récupérés mais combattre les idées reçues et surtout redonner une utilité sociale à tous les concernés, assure Claire Marche. Si l’expérimentation ne marche pas, les chômeurs seront une fois de plus montrés du doigt. » Enfin, le dispositif ne pourra pas immédiatement accueillir tous les chômeurs de longue durée de Jouques et devra donc faire ses preuves petit à petit. Comme un oiseau de bon augure fait son nid.
Clément Chassot
1. Agir tous pour la dignité du quart monde. Créée dans les années 50 avec le but « d’éradiquer la misère », l’association est à l’origine de nombreuses avancées législatives comme le RMI ou la CMU
2. Schéma de cohérence territorial