Musiques du monde versus mainstream « odieuvisuel »
Pour le décor : Correns, au cœur de la Provence verte. 900 citoyens au compteur. Un village délicieux au bord de l’Argens, rivière à truites. Un écrin qui se targue d’être le premier village du tout bio en France. Pour le prétexte : trois jours d’un festival unique où se croisent exigence artistique, aventure collective, convivialité. Ça s’appelle « Les Joutes musicales de printemps ». Un rendez-vous qui est le miel d’une ruche à l’année ayant pour nom « Le Chantier », autrement dit le « Centre de création des nouvelles musiques traditionnelles et du monde ». Soit dans un château qui surplombe le site un outil professionnel unique en France. Lequel, à l’instar de lieux de créations propres au Classique, permet à des artistes des cultures du monde de finaliser des créations qui plus tard sillonneront la planète. Vaste ambition car les musiques du monde, loin du mainstream « odieuvisuel », ce sont des héritages, des imaginaires, des voix et sons, qui tissent l’hier et le demain. Les musiques du monde étant ce qu’écoutent 80 % des gens de la planète.
On ne déroulera pas ici la succulente affiche des Joutes où artistes de renom, scènes ouvertes, rencontres, concerts jeune public, bals, jouent à cache-cache. Elle est déclinée cette année au féminin pluriel. Soit de superbes chanteuses à l’instar de Marta Sebestyen, garante du trésor musical hongrois. Nena Venetsanou collaboratrice de tous les grands compositeurs grecs. Elena de Renzio et Katia Lari, dépositaires de tradition orale italienne. La Guinéenne Sayon Bamba et son environnement mandingue. Sorah Rionda et les parfums musicaux de la Havane. Rozeen Talec et Lina Bellard et leur relecture des gwerziou bretonne. Otilie B et Christine Salem, entre maloya réunionnais et chant soufi. Cigdem Aslan et la grâce de la tradition kurde alevi. Les polyphoniques Dames de la Joliette… Ou pour des couleurs plus instrumentales, Anne Lise Foy et sa vielle. La chinoise Sissy Zhou et son imposante cithare. Roxane Martin et sa harpe klezmer. Emmanuelle Troy et sa Transeurasie soyeuse. Le Quintet balkanique Bumbac… Un week-end qui propose aussi les « premières » de Traversées diatoniques (redevable à l’accordéoniste Sébastien Bertrand. La Grande folie, détournements polyphoniques de l’ensemble San Salvador. La Maîtresse des ombres ciné-concert d’après les films de Lotte Reiniger. Les Poèmes cardinaux d’un Miqueu Montanaro servis par l’Orchestre de la Cité de la Musique. 4+1, nouveauté du Corou de Berra et du sax beat-boxer David Amar. Résonance d’exil(s) du trio Kyab Yul-Sa.
Pour l’intendance, outre l’équipe du Chantier, cent bénévoles veillent au grain. Pour le palais, les vins renommés du cru (Brad Pitt et Angelina Jolie ont d’ailleurs racheté dans la zone un domaine viticole où jadis AC/DC ou les Pink Floyd enregistrèrent !) donneront à la musique des accents célestes. Pour le délire, des bals endiablés réconcilieront les couples frustrés par la distanciation technoïde avec les vertus du toucher de l’autre. Un week-end festif populaire et exigeant aurait dit Jean Vilar. Mais après tout, la devise de Correns n’est-elle pas : « la sensation d’un privilège » ?
Frank Tenaille
Pour plus d’infos sur la 19ème édition des Joutes musicales de Printemps, c’est par ici