Petite mairie pour grand dessein
« L’année prochaine au Vélodrome », rigole Stéphane Ravier. En ce 22 février, il a réuni quelques représentants de la presse locale pour évoquer sa version du démantèlement en cours de l’Espace culturel Busserine. Et forcément, il revient sur sa cérémonie de vœux organisée au Dôme, l’une des plus grandes salles de spectacle de la ville, avec force effets lumière, buffet gargantuesque et jeunes filles en habits provençaux.
Le clip vidéo réalisé pour l’occasion figure toujours à la une du site internet de la mairie de secteur. En 5 minutes, le film jongle habilement entre les vues des 13ème et 14ème arrondissements et celles qui embrassent tout Marseille, de la Bonne Mère au Vélodrome. « Nous avons commencé à changer les choses avec peu de pouvoirs décisionnaires », glisse-t-il. Avant de lâcher dans un soupir : « Mon dieu, vivement 2020, pour que nous puissions agir vraiment pour toute la ville, pour tous les Marseillais d’abord. » Son opposant socialiste, Stéphane Mari, avait fustigé un spectacle qui tenait plus du meeting politique pour les municipales à venir que des vœux d’un maire de secteur. Cette stratégie à double lame est très clairement assumée.
Épaulé par sa nouvelle directrice de cabinet, Chrystel Harms, le sénateur-maire de secteur veut faire de la Bastide Saint-Joseph un tremplin pour conquérir la mairie centrale. Premier secrétaire de la Fédé FN du « 13 », tête de liste départementale aux dernières régionales, il sera à nouveau le candidat naturel aux élections municipales de 2020. Et il s’est dit prêt à lâcher son siège de sénateur pour tester le rebond du tremplin à temps plein.
Galoubets et soraliens
Mais il a pour ce faire, peu de moyens. Avec un budget de fonctionnement qui ne dépasse pas les 3 millions d’euros annuels dont la majeure partie est absorbée par les centres municipaux d’animation, sa mairie est une naine politique. « À son arrivée, il a annoncé qu’il souhaitait que tout ce qui était fait par l’équipe précédente soit maintenu », affirme un fonctionnaire municipal sous couvert d’anonymat.
Hormis dans la délivrance des certificats d’hébergement, réduite à la portion congrue, le maire s’est pour un temps tenu à cette feuille de route. « Notre seule création est la mise en place d’actions en direction des seniors qui n’existaient pas jusque-là », explique-t-il. Autre nouveauté, des conférences régulières organisées à la Bastide Saint-Joseph et pour lesquelles il pioche allègrement dans la galaxie de la droite extrême, du soralien Piero San Giorgio à l’universitaire spécialiste controversé de l’Afrique, Bernard Lugan. « J’ai envoyé une invitation à Bernard Henri-Lévy mais il n’a pas répondu… Je plaisante bien sûr », sourit Stéphane Ravier. Ces conférences marquent l’ancrage idéologique auquel l’élu frontiste n’entend pas renoncer.
Il en va de même avec les traditions provençales que sa mairie met régulièrement en avant, avec force galoubets, tambourins et indiennes d’Arles. Celles-là même qu’il souhaite voir plus présentes dans la nouvelle programmation de l’Espace culturel Busserine, quitte à surjouer la carte de l’opposition entre les habitants des quartiers – forcément d’origine étrangère – et ceux des noyaux villageois. La polémique enfle réveillant les spectres lointains du Sous-marin de Vitrolles ou de Châteauvallon à Toulon. Malgré la pétition signée par 2000 personnes et la levée de boucliers des acteurs culturels, Stéphane Ravier rappelle qu’il s’agit là de sa prérogative de maire de secteur, rappelée par Jean-Claude Gaudin en conseil municipal, le 8 février.
Plan médias et carrière
Stéphane Ravier peaufine donc ses sorties médiatiques pour construire son plan de carrière. Les militants et élus du Front sont priés de s’y soumettre ou de s’écarter sur le passage du chef. À l’intérieur du groupe municipal, tous ne sont pas partisans des manières cassantes du « caporal » Ravier. L’heure n’est pas encore à la dissidence mais la lutte des places dans la constitution de la part bucco-rhodanienne de la liste FN aux régionales a laissé des traces. Parmi les partants, l’ancien directeur de cabinet et attaché parlementaire du sénateur, Adrien Mexis. Il a claqué la porte, rendu ses mandats istréens juste avant les régionales en pointant à mots couverts les divergences avec son ancien patron. En réponse Stéphane Ravier lâche qu’Adrien Mexis avait pris un logement au cœur de la circonscription législative des 13/14.
Plus récemment, deux élus de la majorité frontiste à la mairie de secteur ont fait de même. La directrice générale des services, Marie-Dominique Desportes, a demandé sa mutation début février. Le directeur des affaires financières assure l’intérim mais c’est le maire et son cabinet qui concentrent l’essentiel des pouvoirs.
En septembre dernier, lors d’un apéritif de rentrée, Stéphane Ravier avait rappelé qu’il était le seul patron, la porte de son bureau ouverte à tous les agents, y compris sur les questions d’avancement. Une « politisation » du fonctionnement de la mairie qui inquiète une partie des agents municipaux et risque de créer des failles qui finiront par se voir.
Benoit Gilles (Marsactu)
Cet article a été publié dans le Ravi n°138, daté mars 2016, ainsi que sur Marsactu, le site d’information marseillais.