Les classes populaires grandes oubliées des candidatures
Dans cette campagne électorale des municipales, probablement encore plus que par le passé, la thématique de la présence de la société civile dans les listes électorales et dans les conseils municipaux est omniprésente, à Marseille comme ailleurs. Et dans un contexte de discrédit des professionnels de la politique renvoyés à leur ringardise, s’affirme l’exigence de mettre dans les listes des « membres », des « représentants » de la société civile, des professions et des associations.
Mais au-delà de ce que l’on peut considérer comme une nouvelle norme, se pose également la question de la manière dont la sociologie de la ville est représentée sur les listes des candidats. Ville populaire, Marseille compte 12,2 % de chômeurs officiels, 43,7 % d’employés (30,2 %) et d’ouvriers (13,5 %) selon une étude de l’Insee de 2016. Mais aussi 29 % de professions intermédiaires, 21,1 % de cadres et de professions intellectuelles supérieurs et 6,1 % d’artisans, commerçants et chef d’entreprise (Insee.fr, « Dossier complet, commune de Marseille », 04/02/2020). Sont-ils équitablement représentés par les candidats ? Pour le savoir, nous nous sommes penchés sur cinq secteur (1/7, 4/5, 6/8, 11/12 et 13/14) et en nous concentrant sur les candidats éligibles à la mairie centrale (soit 66 noms) des trois listes dont nous avons obtenus ou trouvés les informations dans le temps imparti à la rédaction de cet article : Martine Vassal (Les Républicains, LR), Yvon Berland (Le République en Marche, LREM) et Michèle Rubirola (Printemps Marseillais, partis de gauche, écologistes et citoyens, PM).
Première remarque. Les derniers de cordés, pour reprendre l’expression d’un président de la République, sont de loin les plus mal représentés dans le scrutin marseillais selon les huit catégories socioprofessionnelles typiques de l’Insee. Dans les trois listes étudiées, et quasiment dans les cinq secteurs retenus, la catégorie « cadres et professions intellectuelles supérieures » est surreprésentée : 43 candidats sur les 66 en position éligible dans les listes Berland (LREM), 42 chez Martine Vassal (LR) et 34 au Printemps Marseillais (PM). Soit deux à trois fois plus que les 21,1 % de cadres et de professions intellectuelles supérieurs des cadres recensées par l’Insee. A croire, qu’on ne peut pas faire confiance à la France d’en bas…
Premiers de cordés, premiers élus
Aux autres catégories (« artisans/commerçants », « professions intermédiaires », « employés », « ouvriers », « sans emploi », « retraités »), il ne reste donc que les miettes. Pire, la sous-représentassions des catégories populaires est criante sur les trois listes : un seul ouvrier et cinq employés sur 66 candidats éligibles dans les listes Berland, aucun ouvrier et trois employés dans les listes Vassal, deux ouvriers et trois employés au PM. Cinq à dix fois moins que dans la réalité.
Cette sous-représentation se retrouve également au niveau territorial. Si la forte présence des cadres et professions intellectuelles supérieures dans les secteurs comme les 6° et 8° arrondissements est attendue car en relation à la composition sociale de ces quartiers bourgeois, il faut quand-même signaler leur sur-représentation : 13 sur 16 candidats chez LREM, six chez Martine Vassal et sept au PM. Mais même dans des secteurs socialement mixtes ou populaires, le nombre de cadres reste très élevé. Ainsi, dans les 1er et 7e arrondissements, sur 11 candidats éligibles on trouve cinq cadres sur les listes Berland, neuf sur celles de Martine Vassal Vassal et sept au PM. Même situation dans les quartiers nord, pour les 16 places au conseil municipal des 13e et 14e arrondissements : neuf cadres dans les listes Berland, onze chez Vassal et cinq au Printemps Marseillais. Des arrondissements où les cadres ne représentent que 6,2 % et 3,2 % de la population actives, contre 29 % et 32,4 % pour les employés et ouvriers. Ces municipales ne vont donc pas bousculés les (dés)équilibres en place au sein du conseil municipal…
Concernant les secteurs d’activité représentés, là encore les traditions demeurent. Les professions de la santé et du droit restent encore les plus présentes dans le « haut » des listes politiques, mêmes si ces dernières sont probablement mois présentes qu’à une époque. On trouve respectivement sept et trois candidats sur les cinq listes de Michèle Rubirola (PM) et d’Yvon Berland (LREM) et six et quatre chez Martine Vassal. Si cette dernière se place là encore dans les pantoufles de son mentor, elle va même jusqu’à le caricaturer. Sur sa liste du 3e secteur (4e et 5e arrondissements), on retrouve ainsi Marc Katramados, ancien secrétaire FO des hôpitaux de Marseille qui revendiquait ouvertement son clientélisme et ses embauches politiques.
Si des traditions sont communes, il y a cependant des clivages. En particulier entre les listes de droite et macroniste et celle de gauche. Elles sont percevable à travers deux facteurs : une présence beaucoup plus importante de chefs d’entreprises dans les deux première listes (respectivement huit et sept candidats contre deux) et dans la forte présence des monde de l’enseignement et de la recherche (quasi systématiquement publique) sur celles du Printemps Marseillais (dix candidats contre six chez Martine Vassal et cinq chez Yvon Berland).
Prime aux sortants
Dernières remarque. Alors que chaque candidat en lice se félicite d’un fort renouvellement des têtes sur ses listes, comme l’ont montré nos confrères de Marsactu, les sortants et les responsables (conseillers d’arrondissements et conseillers municipaux confondus) ont encore la côte. En particulier chez ceux qui en ont. Si dans notre panel de cinq secteurs nous n’en avons identifié qu’un seul sur les listes d’Yvon Berland sur les 66 candidats éligibles, sur celles du Printemps Marseillais ils sont au moins onze et même quatorze chez la candidate de Jean-Claude Gaudin, Martine Vassal. Avec, chez cette dernière, une prépondérance dans les secteurs traditionnellement favorables à la droite : cinq sur quinze dans les 6e et 8e arrondissements et sept sur treize dans les 11e et 12e arrondissements. Mieux vaut être prudent…
Si la loi sur la parité a considérablement féminisée les assemblées représentatives locales et si la question de la représentation de la diversité des origines revient dans le débat, celle des classes populaires – ouvriers, employés mais aussi chômeurs – n’en est pas un. Pire, leur sous-représentation – et même leur quasi-totale absence – est rarement évoquée dans le débat public. Ces municipales ne vont pas changer la donne. A Marseille comme ailleurs.
Discours sur la méthode
Si nous souhaitions au départ travailler sur l’ensemble des listes, la décision de la préfecture de ne pas communiquer les professions des candidats comme la difficulté de récupérer les informations auprès de certaines équipes nous ont poussés à réduire notre champ d’investigation. Nous nous sommes donc concentrés sur trois listes (LR, LREM et le Printemps Marseillais), cinq secteurs (1/7, 4/5, 6/8, 11/12, 13/14) et uniquement sur les candidats au conseil municipal, assemblée la plus prestigieuse et rémunératrice. Soit 66 candidats au total pour chaque liste. Autre difficulté, pour réaliser notre travail, nous nous sommes fiés – malgré leur caractère parfois incertain – aux auto-déclarations des aspirants élus.
Enfin, nous avons retenu trois critères et variables d’analyse : l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle (CSP) ; les secteurs d’activité des candidats (enseignement-recherche, mondes de la médecine, droit, du commerce, etc.) ; INSEE la distinction entre professionnels de la politique et non-professionnel. A noter que nous avons fait le choix de ne pas distinguer les retraités, mais plutôt de les intégrer dans les catégories socioprofessionnelles afin de d’offrir une photographie plus juste de la composition des listes. Faute d’information sur la taille de leurs sociétés, nous avons décidé d’intégrer les chefs d’entreprises aux cadres et autres professions intermédiaires, alors que l’Insee ne le entreprises fait que pour les entreprises de plus de 9 salariés. Les autres étant assimilés aux artisans et commerçants.
Dernière précision. Si la question de l’origine de provenance aurait également méritée d’être traitée dans cet article, sans indication explicite l’exercice nous a semblé risqué. Reste que les noms des candidats laissent présager que le prochain conseil municipal ne devrait pas plus être à l’image de Marseille que le sortant et les précédents. Pour rappel, environ un tiers de sa population est originaire ou a des origines du Maghreb et d’Afrique Sub-saharienne.
C.M. et J-F. P.