Mes amis les cons…
Ma tribune « anticons », parue le 27 janvier dernier dans Var-Matin aura eu ce que j’appelle le bénéfique effet de la clarté : afficher sans ambages le positionnement de mon journal contre l’intolérance et le racisme. Pour ceux qui ne l’auraient pas lu, ce billet un peu abrupt certes, visait directement les irréductibles abrutis – anonymes et lâches, car c’est plus simple ainsi – qui, à longueur d’année, bombardent notre rédaction de propos nauséabonds. Leurs cibles : la population musulmane principalement, et la liberté laissée à un journaliste de commenter l’actualité.
Moi, quand je n’aime pas un boulanger, je n’achète pas son pain. J’ai donc suggéré, conseillé même à ce lectorat douteux de ne plus lire mes articles ni ceux de mes collaborateurs. Bref, de changer de crèmerie. La presse n’a pas besoin des cons pour vivre. Mais de lecteurs à l’ouverture d’esprit élargie, qui peuvent concevoir qu’émettre un avis divergent du leur, n’est pas forcément une tare. Étrangement, alors qu’à la suite de mon édito, je pensais entrer dans le collimateur d’un lectorat FN très actif dans le secteur où je me trouve en poste (Fréjus et l’Est-Var), c’est tout le contraire qui s’est produit.
A Var-Matin, nous n’avons jamais reçu autant de mots d’encouragement, de congratulations, d’incitations à persévérer. Là où les cons menaçaient de ne plus nous lire, nous avons accueilli avec délectation les intentions de réabonnement d’anciens fidèles égarés, désireux de renouer avec la tradition du « café, croissant, journal ». C’est donc que tout n’est pas perdu. Que la majorité de ceux qui fréquentent les kiosques à journaux croit encore à l’utilité de la presse et, surtout, qu’elle est en demande d’une posture forte et volontaire des journalistes face aux excès de tout genre.
Le paradoxe aujourd’hui est donc celui-ci : il me faut bien admettre que les cons sont une nécessité. D’une part, ils nous aident, nous, représentants de ce que l’on nomme pompeusement le quatrième pouvoir, à restaurer notre crédit. D’autre part, en dévoilant au grand jour leur étroitesse de vue, ils nous offrent l’extraordinaire opportunité d’assainir les rangs de ceux qui nous font l’honneur de parcourir notre prose. Finalement, j’ai presque envie de dire que les cons sont mes amis. Même si je n’en pense pas un traitre mot…
Eric Farel, journaliste à Var-matin
Ma ville couleur Bleu Marine, « le vrai visage du FN au pouvoir », par Eric Farel, Maxime Fieschi, Mehdi Gherdane, Pascal Wallart, éditions Flammarion, 2015, 280 pages, 19,90 euros.