Avec nos gueules de métèques…
« Franchement, Hollande tu me déchois. » Fin janvier, un peu partout en France, ils étaient quelques milliers à braver l’état d’urgence pour manifester contre lui, mais aussi contre la déchéance de nationalité et surtout leur inscription dans la Constitution. Après maints accélérations et rétropédalages – quand j’avance tu recules comment veux tu… – et une ministre de la justice qui claque la porte et « Murmure à la jeunesse » juste avant l’ouverture des débats à l’Assemblée nationale, l’exécutif s’est prononcé sur un nouveau texte concernant la déchéance de nationalité.
Il s’agira désormais « d’une peine complémentaire » qui devra être prononcée par un juge judiciaire et non plus par décision administrative et qui sous la pression de la droite – dont les voix sont espérées pour la révision de la Constitution – ne s’appliquera plus seulement aux crimes (actes de terrorisme) mais aussi aux délits (apologie du terrorisme). Tour de passe-passe, la référence aux binationaux qui avait soulevé toutes les critiques lors de la première mouture du texte, a disparu, même si pourtant, ils sont les seuls visés puisque le texte stipule que la peine ne pourra pas être prononcée : « si elle a pour résultat de rendre la personne condamnée apatride ». A condition de ratifier la convention de 1961 (lire encadré sur l’apatridie), tout ce que risquerait un « mono-national », ce serait d’être déchu définitivement de son droit de vote, de son droit d’éligibilité, d’exercer une fonction juridictionnelle et une fonction publique. De quoi effectivement effrayer plus d’un terroriste…
La France compterait plus de trois millions de binationaux et 40 % des immigrés vivant en France possèderaient une bi-nationalité : les ressortissants du Maghreb (66 %), les Turcs (55 %) et les Portugais (43 %). Les études sur le sujet sont plutôt rares car il n’existe aucun fichier de recensement des Français binationaux. La dernière date de 2009 (Etude des trajectoires et origines réalisée par l’Ined, l’Institut national d’études démographiques). En Paca avec une mixité de populations forte, mais aussi un vote FN qui bat des records, cette déchéance de nationalité brandie comme une épée de Damoclès sur la tête de ceux qui jusqu’ici n’étaient pas « que » français et qui désormais sont surtout autre chose, a une résonnance toute particulière.
Des Français de seconde zone
« Je vais m’empresser la semaine prochaine de courir à l’ambassade revendiquer mon droit à la bi-nationalité. Comme une réaction viscérale, comme un acte politique. » Samir Khébizi, 43 ans, franco-algérien, figure associative culturelle marseillaise, fondateur et président des Têtes de L’art, a été l’un des premiers à réagir publiquement, par une lettre ouverte adressée au président, publiée par le Ravi puis Libération : « Il faut replacer cette lettre dans son contexte d’après Régionales, où on se retrouve avec une gauche qui joue la question du barrage républicain et de l’honneur, explique-t-il. Et par voie de conséquence, après les résultats avec une rhétorique qui revient souvent comme quoi "il faut que l’on tienne compte de ce vote et que l’on revoie notre manière de penser la politique". Et derrière ça, on voit un président et un premier ministre qui reviennent à des calculs politiques vieux comme le monde en proposant une mesure qui ne ressemble à rien dans la Constitution, en faisant des amalgames énormes sur une question qui était pour moi une non-question jusqu’à présent. Et pour laquelle je me retrouve pour la première fois de ma vie confronté à une stigmatisation que je n’avais jamais ressentie jusque-là, tellement je me sens français par ma culture et mon éducation. » Pour lui cette lettre est un acte citoyen et politique fort : ne plus être spectateur mais agir. Il lance une pétition en ligne qui dépasse rapidement les 30 000 signatures et invite les signataires, comme lui, à interpeller les députés locaux sur la question.
« On considère désormais qu’il y a plusieurs catégories de Français et on met un grand coup de pied dans le droit du sol », s’énerve Mohamed Bensaada du Collectif des quartiers populaires de Marseille [lire également notre Grande Tchatche page 7]. Dans les cités, les jeunes ne réagissent plus, tellement le fossé est déjà grand. Ils ont intégré eux, depuis longtemps, qu’ils n’étaient pas français… » Pour Cherif Lounes, fondateur et administrateur de l’Association des familles musulmanes de Provence (AFMP) cette mesure est une fuite en avant. « Les gouvernements successifs n’ont pas réussi leur politique sociale, souligne-t-il. Il aurait fallu analyser le parcours de ces jeunes et comprendre ce qui a failli, il est là le problème. Mais on préfère mettre du sparadrap pour enquiquiner les braves gens… Alors que le rôle de l’Etat, justement, c’est de faire la part des choses. » S’il admire l’honnêteté de Christiane Taubira, il dénonce le silence assourdissant des élus « de la diversité », Vallaud-Belkacem et El Khomri, mais aussi les députés et les sénateurs socialistes : « Dans la communauté musulmane, on se demande pourquoi ces gens-là se taisent ! Et n’ont pas démissionné. »
Ratisser large
Naïm, 53 ans, aixois franco-marocain, est profondément déçu et se sent trahi. A ses yeux, le PS est mort et il ne votera plus pour lui. Il est arrivé en France pour ses études en 1980 et n’a demandé la nationalité française qu’en 2004, un acte symbolique important et réfléchi. « Cette loi est une ânerie monumentale sur le plan du droit, de l’éthique et de la pratique, déplore-t-il. C’est comme un coup de fouet à l’adresse des citoyens de seconde zone. Comme pour nous dire de rester tranquilles et de fermer nos gueules ! » Brahim, franco-algérien s’interroge aussi : « Ça fait chier que ça sorte d’eux. Dans les guerres on est en train de passer à autre chose, en politique aussi… à droite toute ! » Karl, la cinquantaine, est allemand, il enseigne en France depuis des années, les papiers à remplir pour sa demande de naturalisation traînent chez lui depuis des mois mais avec la montée du FN aux dernières élections et le climat actuel, il hésite : « La France est sur la mauvaise pente. Le système politique est verrouillé. Le problème c’est que les gens ne vont pas se révolter contre le gouvernement, mais contre les étrangers… »
Et Samir Khébizi de conclure dans sa lettre au président de la République : « L’islamisme radical n’est pas une nationalité à ma connaissance et je ne connais pas de personnes détentrices d’un passeport franco-terroriste. Dans ma région, je me bats, comme tant d’autres, contre un FN décomplexé qui était aux portes de la présidence de la région Paca. Je ne suis pas sûr que vous soyez mon allié dans ce combat. L’original sera toujours préféré à la copie surtout quand les mesures annoncées sont liberticides et démagogiques. »
Samantha Rouchard