Le RN avance masqué
Longtemps, il était de coutume de dire que feu le Front national pouvait présenter une chèvre tant que son logo était en bas d’une affiche électorale. Il semble que pour ces élections municipales, l’extrême-droite rebaptisée Rassemblement national (RN) a parfois changé de stratégie : elle avance masquée en présentant des candidats sur des listes « divers droite » soutenues par le RN dans le but de briser le fameux plafond de verre et conquérir des municipalités de la région, en plus des six gagnées en 2014.
Le cas le plus emblématique est sûrement celui de Carpentras où un ancien général de l’armée, Bertrand de la Chesnais (Cf le Ravi n°178) emmène une liste « d’union des droites », concept cher à Thierry Mariani, transfuge des Républicains, ancien ministre et longtemps député de Vaucluse, proche de Marion Maréchal (nous voilà) Le Pen, désormais député européen RN. On y retrouve en troisième position le leader du RN du coin Hervé de Lepinau, deux candidats sur la liste RN en 2014 et des militants. Mais le général nie, il n’est pas la marionnette du RN, avec pour preuve plusieurs débauchages chez le concurrent LR et la liste dissidente divers droite de 2014.
À quelques kilomètres de là, à Monteux, le beau-frère du général, colonel de son état (!) tente la même expérience. Et à Mazan, toujours près de Carpentras, le candidat LR (exclu depuis, voir plus bas) Louis Bonnet a placé en troisième position un cadre départemental du RN, Georges Michel. Et tout cela dans l’optique du troisième tour : la prise de pouvoir de l’intercommunalité. Pour Claude Melquior, candidat divers droite soutenu par LR (faut suivre…), « Bertrand de la Chesnais est clairement la couverture du RN, il est intervenant à l’Issep, l’école de Marion Maréchal Le Pen (1). Il a reçu le soutien de Marine Le Pen… Moi aussi je souhaitais faire l’union des droites, mais hors de question de le faire avec l’extrême droite ! »
« De la Chesnais est la couverture du RN ! »
Le maire de Camaret-sur-Aigues et délégué départemental adjoint du RN Philippe de Beauregard, sans parler de candidatures masquées, confirme que cette stratégie est bel et bien délibérée et validée par la direction départementale : « On soutient désormais des têtes de liste qui n’ont pas forcément l’étiquette RN plutôt que de les présenter directement. Le but est bien sûr d’emporter plus de villes qu’en 2014 mais aussi de faire élire un maximum de conseillers municipaux, d’élargir notre base, en vue des sénatoriales. » Lui se représente en ayant sur ses listes des candidats inscrits sur des listes de droite « classique » en 2014.
Mais le stratagème a également été mis en place à Bédarrides où un adjoint sortant LR est soutenu par le RN. Liste non exhaustive. L’éternelle digue entre l’extrême droite et la droite « républicaine », déjà bien fissurée, est-elle définitivement en train de craquer ? « Cela ne concerne que quelques individus, veut tempérer le patron des Républicains en Vaucluse, le sénateur Alain Milon. Pour que la digue cède, il en faut plus ! » En réaction, il a exclu une petite dizaine d’encartés LR. « Mais il y en a tellement qu’ils n’arrivent pas à suivre ! », se gausse Philippe de Beauregard. « Ces gens pensent qu’ils sauveront leur peau en faisant des mariages contre nature. Ils prônent l’union des droites mais ces droites-là n’ont jamais existé !, rétorque Alain Milon. De la Chesnais à Carpentras est un fossoyeur de la droite. Si notre électorat est insatisfait, à nous de trouver des solutions mais nous nous attendions à cette stratégie, le RN aussi se rend compte qu’ils n’ont pas tout fait bien. »
Aucune surprise non plus pour la politiste et maître de conférences à l’université d’Avignon, Christèle Marchand-Lagier : « Tout cela est très ancien, le rapprochement des droites a toujours eu un peu d’avance en Vaucluse. Le paysage politique est bouleversé depuis 2017, on cherche à s’appuyer sur des personnes qui n’ont pas d’étiquettes politiques. À Carpentras, Hervé de Lepinau l’a clairement annoncé lors des dernières législatives en se positionnant comme le candidat de la droite. Tous les ingrédients sont réunis. »
Ailleurs dans la région, cette stratégie n’est pas représentative. Dans le Var, à Hyères, Yves Kbaïer, élu divers droite en 2014, est soutenu par le RN. À Draguignan (83), comme nous le racontions dans notre édito en février, le bâtonnier Philippe Schreck, officiellement de droite « sans étiquette », est soutenu personnellement par la figure locale du parti, le maire de Fréjus David Rachline.
Le secrétaire départemental Frédéric Boccaletti, lui « n’est pas fan de l’union des droites. Avec celle du RPR pourquoi pas, mais elle a beaucoup changé aujourd’hui. Les stratégies s’établissent selon les territoires. Mais oui, le but est d’aller au-delà du parti pour avoir un ancrage local. Dans le Var nous sommes donc plutôt sur des listes d’ouverture. À Six-Fours-les-Plages où je me présente, 50 % de ma liste vient d’ailleurs. » Tout en reconnaissant qu’il pourrait y avoir des rapprochements avec des élus de droite pour contrôler des intercommunalités. Enfin, Menton, dans les Alpes-Maritimes, est à surveiller de près, où Olivier Bettati, le conseiller régional élu FN en 2016 auprès de Marion Maréchal (nous voilà) Le Pen, est poussé par les cadres de la droite régionale pour déboulonner le LR Jean-Claude Guibal. Masques et tours de magie !
1. Il fait effectivement partie de la liste des enseignants, pour la « souveraineté militaire » (sic).