Voyage expérimental
En sortant au métro Vieux Port, lieu symbolique de Marseille, nous sommes subjugués par la beauté de l’endroit, qui a connu récemment beaucoup de changements. Nous avons aussi l’impression d’être embrassés par cette belle mer bleue et accueillis par les bateaux. Direction le ponton du cercle nautique de Rive Neuve, sur le quai du même nom, où nous attend Philippe Thomé. Directeur de Boud’Mer, une association de réhabilitation de bateaux traditionnels et de sensibilisation au respect de l’environnement marin, il accueille régulièrement des jeunes et des moins jeunes en chantier pédagogique avec son équipe de bénévoles.
Ce jeudi 19 novembre, Xavier Lefevre, un ancien financier de 38 ans en reconversion professionnelle, et Abdoulay Dira, déjà diplômé du CAP Entretien de bateaux de plaisance que passe son collègue, s’activent sous un agréable soleil d’automne sur le Beppina, un pointu marseillais mis à sec pour son entretien annuel. Autant le premier est massif, autant le second est longiligne aux trais fins. « Aujourd’hui, on a fait le carénage, le ponçage de la coque, la résine, la peinture interne », détaille l’Ivoirien de 24 ans, arrivé en France il y a tout juste un an et demi et actuellement en service civique.
« L’intérêt de Boud’Mer, c’est de former à bien faire les choses, mais sans pression », explique de son côté Xavier Lefevre. « L’objectif est de faire découvrir les métiers liés à la mer, de proposer de possibles pistes de réorientation ou de mettre en application et approfondir des connaissances, complète Philippe Thomé. On fait toucher à tout : le bois, la peinture, l’électricité, la mécanique. » Et de préciser : « Les services civiques consacrent aussi une partie de leur temps aux activités de l’association. » Comme des ateliers de sensibilisation à l’environnement.
Une école centrale
Une voie qui a visiblement le vent en poupe. La médiation fait aussi partie du cursus de SimplonMars (le Ravi n°134), une formation qualifiante lancée cette année par la prestigieuse Ecole centrale de Marseille. « Il y a une demande dans les associations », confirme Mathilde Chaboche, la coordinatrice du labo sociétal de l’école, dans son bureau un peu trop baigné de soleil à cause d’un store capricieux qui donne sur le technopôle de Château Gombert, dans les quartiers nord de la ville (13e arr.).
Mais la formation, inspirée des parcours de Simplon.co, une entreprise sociale du numérique, a d’abord vocation à former en moins de 8 mois des développeurs (sites web, applications mobiles) grâce à une pédagogie active. La théorie est immédiatement mise en pratique sur des projets, l’autonomie, le travail en groupe sont stimulés. « Le principal critère de sélection est la motivation, assure Mathilde Chaboche. Ça n’est pas l’école, il n’y a pas de notes, et c’est important parce que nous avons des décrocheurs. [Mais] on est exigeant sur l’attitude, la présence, le respect des horaires, qui est le premier point d’inquiétude des entrepreneurs » avec ce genre de profil.
Un profil de jeunes (18-30 ans) issus des quartiers prioritaires et/ou de milieux défavorisés et en difficulté d’accès à l’emploi. D’où un second « axe fort de la formation » : l’accompagnement des stagiaires. Ateliers CV et entretien en amont, suivi dans la recherche d’emploi en sortie de formation ou encore des interventions hebdomadaires de professionnels. « On essaie aussi de combler un manque de réseau, de capital culturel », explique Mathilde Chabote.
Discrimination positive
Résultat, un taux insolent de 90 % de retour à l’emploi (CDI, CDD, emploi aidé) pour les 16 premiers stagiaires (sur 24 au départ) qui sont allés au bout de la formation. Parmi lesquels quatre jeunes femmes, dont deux ont déjà signé un CDI. « S’il y a encore très peu de parité dans la formation, les filles peuvent jouer d’une discrimination positive, promet Mathilde Chaboche. Les entreprises se les arrachent pour féminiser leurs équipes, mais aussi pour pouvoir répondre à des projets plus féminins. » Et de lancer : « Il y a des places pour les filles en-dehors des services à la personne ! »
Au Cieres, les objectifs ne sont pas les mêmes. « S’il n’y a pas de réussite, ce ne doit pas être un échec. Parfois, il faut peut-être plus de temps », dit Valérie Lapalus, une ancienne journaliste entrée en 2011. Installé au pied de l’historique quartier du Panier, côté Porte d’Aix ( 2e arr.), ce centre de formation est spécialisé dans la formation générale à un socle de compétences de base (français, maths, informatique, anglais, citoyenneté), une forme de remise à niveau, pour un public souvent très éloigné de l’emploi (sortants de prison, chômeurs de longue durée, décrocheurs, étrangers).
Co-construction constructive
Se présentant comme centre d’innovation (pour l’emploi et le reclassement social), le Cieres ne ment pas. Il y a par exemple le projet de publication d’un magazine, Expressions, porté par Valérie Lapalus. « A travers le journalisme, les participants travaillent le français, l’informatique, s’entraînent à prendre la parole et des contacts avec les interviews. Mais le projet permet aussi de travailler sur l’image de soi, sur la confiance, le travail en équipe, le savoir être », détaille la formatrice.
Autre singularité, le centre dispose d’un médiateur culturel. Un poste créé et occupé par un ancien stagiaire. « On travaille avec les associations et dispositifs culturels du territoire, sur la photo, le cinéma, le théâtre, explique Françoise Nasri, la fondatrice du Cieres, aujourd’hui à la retraite. Si la culture est transversale [aux publics], elle est aussi une finalité. Pour les stagiaires, c’est une manière de s’insérer, de s’intégrer, d’exercer leur citoyenneté. »
Conclusion de Valérie Lapalus : « L’idée est toujours de proposer des projets avec des fils rouges dont les chemins peuvent fluctuer en fonction des personnes, de leurs envies, besoins ou attentes. Nous sommes dans la co-construction. » Comme dans un projet de journalisme participatif bien connu !
Amina Bounad, Taourati Moussa et Jean-François Poupelin, avec la participation de Chaïnese Atamnia et Cherasade Agueni