Moi, Jacques-Henri Eyraud : pied au plancher, poing sur la table
Vénéré grand maître,
C’est un grand honneur de pouvoir vous écrire à vous, notre grand maître qui avez importé le tae kwon do en France, qui restez une référence pour nous tous, quelqu’un sur qui le temps n’a pas prise. Mais comme le yin équilibre le yang, cet honneur est contrebalancé par le grand embarras de devoir vous solliciter pour une affaire qui reste somme toute individuelle.
Pour que vous puissiez comprendre ma requête, je vous dois de me présenter. Je suis président de l’Olympique de Marseille, le club de football français le plus connu au monde jusqu’à ce que le Qatar rachète le PSG. Je suis aussi pratiquant de tae kwon do, depuis mon plus jeune âge, sous les auspices de maître Jung Sang Doo qui m’a amené au titre de champion de France junior à l’âge de 17 ans. Ceinture noire, plusieurs fois convoqué pour des stages d’entraînement en équipe de France, je n’ai cependant pas participé à des compétitions internationales (1). De la « voie du pied et du poing », j’ai gardé les principes : courtoisie, intégrité, persévérance, contrôle de soi et esprit indomptable. Cela m’a très vite été utile dans ma vie professionnelle, quand j’ai fait mon service militaire au service de presse des armées, en pleine guerre du Golfe. Puis quand je suis devenu porte-parole de Disneyland, à l’époque où le parc patinait grave au démarrage et où il fallait avoir un sourire en granit pour y afficher de l’optimisme. C’est devant le château de la Belle au bois dormant que j’ai entendu l’appel, l’appel du business. « Au bout de cinq, six ans, je me suis dit que si je restais, je serais directeur de la com toute ma vie. Et ce n’était pas ce que je voulais (2). »
« Il est capable de vous envoûter, vous faire croire qu’il vous aime mais il ne pense qu’à son business »
Je pars à Harvard faire un master. Je reviens en France, je deviens un des boss du Club Med, et puis, comme un coup de pied retourné, je prends dans la face une autre révélation : le sport business. En 2000 je fonde Sporever, une boîte qui propose en ligne des résumés des temps forts des rencontres sportives cinq minutes après le coup de sifflet final. Jackpot ! Je lève 10 millions de dollars, nous devenons leader européen de l’info sportive en ligne. Je passe ensuite chez les chevaux avec Turf Magazine, pour piloter leur transition numérique. Je dirige, je manage. Comme sur un tatami, je sais agir vite et de manière décisive. Mes employés le disent : « C’est un animal à sang-froid (3). » Certains vont même jusqu’à me comparer à « un gourou : il est capable de vous envoûter, de vous faire croire qu’il vous aime mais il ne pense qu’à son business en fait (3) ». La jalousie des moins doués, vous connaissez sûrement, grand maître. Tout ça sous prétexte qu’il m’arrive de virer des gens du jour au lendemain. Mais c’est ça le haut niveau, que ce soit dans le sport ou l’économie ! Comme je le dis souvent en citant Mohamed Ali : « Tout le monde a un plan, jusqu’à ce qu’il se prenne un coup de poing sur la gueule (2). »
Mais je m’égare, vénérable, veuillez me pardonner. J’en viens à ce qui m’amène à solliciter votre aide. En 2016, quand j’apprends que la veuve de Robert Louis-Dreyfus veut vendre l’OM, je saute le pas : j’élabore une offre de reprise en mon propre nom. Mais un ami commun me fait rencontrer le milliardaire Franck Mc Court, et nous décidons de nous associer : à lui la propriété et le tonneau des Danaïdes – déjà 200 millions investis – en espérant le boucher un jour ; à moi la présidence et les emmerdes du quotidien ! Car avec tout le respect, vénérable, diriger un club de foot et particulièrement l’OM, ce n’est pas comme diriger un dojo. Personne ne vous admire ou ne vous respecte, tout le monde vous déteste ou pense pouvoir faire mieux que vous, même des gens qui sont des salariés dans l’âme et n’oseraient même pas diriger une TPE. Le tout dans une activité où, deux à trois fois par semaine, vous pouvez être porté aux nues ou voué aux gémonies selon les performances de onze paires de guibolles que vous n’avez même pas choisies d’embaucher vous-même !!
Ratages et coups de génie
Pourtant, mes débuts à l’OM étaient prometteurs. De tous les présidents de l’OM post-Tapie, je suis celui qui se rapproche le plus, avec Pape Diouf, de ce qu’on imagine d’un dirigeant de foot. Lui s’était construit par la base en étant journaliste, puis agent de joueur, et en caressant les supporters dans le sens du poil. Moi je viens de la com et du sport business, et les supporters je leur conseille une tisane « nuit tranquille » pour qu’ils arrêtent de se monter le bourrichon sur les transferts (2). Ça n’a pas fait marrer, « je trouve que ce milieu [du foot] manque d’humour (2) » ! Les ingrats ! Parce qu’à nos débuts, excusez-moi vénérable, mais c’était open bar !! On a embauché à tour de bras, avec des vrais coups de génie comme Luiz Gustavo, et des ratages complets comme Kevin Strootman, qui n’a plus de jambes mais nous coûte un bras. J’aurais pu passer entre les gouttes, s’il n’y avait eu le cas Rudi Garcia. Le coach, je le renouvelle pour trois ans sans attendre la fin de la saison, et juste après c’est le crash. Je dois le virer. Et là entre ses indemnités de licenciement et la masse salariale des joueurs qui a explosé, l’OM a enchaîné deux saisons déficitaires, chacune à 80 millions de trou (4), 35 % des dépenses (5) ! Même si nous nous qualifions en Ligue des champions, ce n’est pas les 60 millions d’euros de recettes télé qui vont nous sauver !! Heureusement que le centre de formation commence enfin à nous sortir des cadors et qu’on arrive à les capter avant qu’ils partent !
Mais pardon vénérable, je ne veux pas abuser de votre temps, « j’actualiserai avec vous, si vous le souhaitez, la liste de mes erreurs (6) ». Si je fais appel à vous, c’est que vous avez dit jadis vouloir « être l’abbé Pierre des arts martiaux (7) », « aider un élève même s’il est à 1 000 kilomètres (7) ». Me voici qui n’en suit qu’à 700, et qui vous appelle à l’aide. Encore plus déchaînés par l’anonymat des réseaux sociaux, les supporters deviennent fous ! L’un m’a menacé de mort en divulguant mon adresse personnelle (8). Les autres disent s’entraîner pour me défier au tae kwon do après m’avoir vu entraîner des gamins sur tatami à l’inauguration du FC Castellane (9). Devrais-je faire comme Uwe Boll, ce réalisateur de série Z qui avait explosé la tronche de ses détracteurs sur un ring (10) ? Mais lui avait caché à tout le monde qu’il était un boxeur émérite… Alors que moi, j’ai joué la surenchère : comme un François Hollande des grands soirs, j’ai mis ma démission en jeu. Mais en y accolant tellement de conditions que, vu le déroulé de la saison, je peux dormir tranquille.
Certes « je suis un combattant, j’ai fait ça sept ans, j’ai l’habitude des contextes de très haute intensité, j’ai une mission je continue (11) ». Mais continuerai-je si un onze de supporters me tombe dessus après un échec à domicile contre le Qatar Saint-Germain ?? Déjà que nous avons réussi à caler devant un FC Nantes de milieu de tableau ! C’est pour cela que je vous en conjure, vénéré grand maître : descendez quelques jours à Marseille pour m’enseigner vos techniques infaillibles et votre mental à toute épreuve. Vous ne serez pas dépaysé : comme vous, les Marseillais ont la passion de la pétanque et pourront vous prêter des boules pour vos exercices de musculation (7). Et si vous ne me jugez pas digne de vos enseignements, accompagnez moi dans les rues de Marseille. « Vous seriez surpris du nombre de supporters qui me disent des choses extrêmement positives et m’encouragent à continuer (6). » Et à ceux qui me disent des choses négatives, nous pourrons répondre par des doubles tchagui (12) dans leur mâchoire, pour leur apprendre à fermer leur bouche !!
En espérant que vous accèderez à mon humble requête,
Votre dévoué élève
Jacques-Henri Eyraud