Recomposition, piège abscons ?
C’était au lendemain du 21 avril 2002. Lors d’une université d’été intitulée « La liberté face à la démocratie totalitaire », Jean-Marie Le Pen assénait : « Nous allons devoir faire un effort d’humanisation pour que les gens nous connaissent mieux et mettre fin aux fantasmes. » Le casting a changé mais le credo est le même. Et pas besoin de gratter longtemps pour que saute le vernis. Si, lors du dernier meeting marseillais du FN, le 9 décembre 2015, l’ex-identitaire Philippe Vardon est privé de tribune, dans les travées, un militant, devant les caméras, crache sa haine : « On n’en veut plus, de ces dirigeants immigrationnistes ! C’est à cause d’eux, les 130 morts ! Hollande, c’est une merde ! Nous, les patriotes, faut qu’on leur fasse une tête comme ça… »
Et si, en campagne, le frontiste se prête, docile, au jeu de l’interview – Stéphane Ravier se voyant même « maire de Marseille en 2020 » – au soir du second tour, les masques tombent. Le FN clamait : « On est prêt. » Tout près. Mais pas assez. Le Front ne s’empare d’aucune région. Ambiance maussade au Florida Palace, une salle coincée entre un hippodrome et un cirque, QG électoral de Marion Maréchal (nous voilà)-Le Pen. Sans surprise, le Ravi est refoulé : « On loue la salle. On décide qui rentre ou pas. Alors le Ravi, pas question ! On s’est suffisamment fait vomir dessus », éructe le varois Frédéric Bocaletti, directeur de campagne de Maréchal-Le Pen.
Malgré des scores historiques, le FN trébuche sur la dernière marche. Certes, avoir une quarantaine d’élus (et les moyens qui vont avec) permet de se former tout en étant dans la position – confortable – de l’opposant. Mais, vu l’hémorragie qu’a connu l’appareil frontiste avant même les régionales, nul doute que 2016, année électoralement vierge, sera compliquée.
Ancien conseiller régional frontiste ayant rejoint la liste de la Ligue du Sud de Jacques Bompard au 1er tour pour finalement appeler à voter Christian Estrosi au second, Laurent Comas n’est pas tendre : « Ces régionales montrent que, malgré des scores élevés, le FN n’a pas de réserve de voix et que c’est encore un vote avant tout protestataire. Ils vont briller par leur incompétence. S’ils s’emparaient d’une collectivité, ce serait une catastrophe. Car ils n’ont aucune organisation digne de ce nom et ne valent pas mieux que les autres. Voyez Ravier, élu avec sa nièce et ayant fait embaucher son fils à la mairie. Ils font ce qu’ils dénoncent ! Le FN va connaître une courbe descendante parce qu’il n’a pas su convaincre. »
Résistant de la dernière heure
Un « optimisme » que ne partagent pas forcément les Républicains. A la « fédé » du « 13 », au soir du second tour, malgré les cris de joie à l’annonce des résultats, l’ambiance n’est pas à la fête et l’affluence maigrelette : « Cette alliance avec un PS qui nous avait traité pire que le FN me laisse un goût amer, lâche un militant. On ferait bien de faire notre introspection, il faut revenir à un programme de droite et faire une politique de droite ! »
Mais comment reformater le « logiciel » ? Comme nombre d’encartés, Yves Moraine, maire du « 6&8 » et l’un des dauphins de Gaudin, plaide pour un retour au très droitier programme de 2007 : « Assumer des positions de droite ferme, ça n’est pas marcher dans les pas du FN. Si on doit changer le logiciel, c’est plus en termes de comportement, de présence sur le terrain, de parole publique… » Une position très sarkozyste.
Chiraquien fan d’Hergé, Bruno Gilles, sénateur-maire d’arrondissement et patron des Républicains dans le « 13 », ne sait à quel Tintin se vouer : « Depuis 93, le FN c’est notre sparadrap, celui du capitaine Haddock. Je ne sais pas quel est le bon chemin, celui de la droite dure ou le credo du gaullisme social. Je suis patron de parti et je suis incapable de définir notre clientèle électorale. On ne la saisit plus. C’est à se demander si tout notre électorat de droite n’est pas parti au Front. » Et de conclure : « Il faut qu’on ait bien à l’esprit que notre adversaire c’est le FN. »
Sauf que les 26,5 % au premier tour de Christian Estrosi, 14 points derrière le FN, n’augurent rien de bon pour la droite en Paca. Au second tour, le FN est arrivé en tête dans le Vaucluse et fait jeu égal dans le Var avec les ex UMP. Au premier tour, il est arrivé en tête dans 107 des 119 communes du « 13 ». Alors, au lendemain de sa victoire, le « motodidacte », reniant toute sa carrière, a retourné sa veste. « Résistant » de la dernière heure, il lâche : « Plus on va à droite, plus on fait monter le FN ! » Estrosi va même mettre en place un « conseil territorial » pour que la gauche, exclue de l’hémicycle, ait une tribune. Il crée aussi un « conseil des sages » où siègeront ses prédécesseurs. Parmi lesquels, le socialiste Michel Pezet qui nous explique : « Après une campagne très dure du FN, Estrosi a été marqué par l’entre-deux tours où des gens de gauche lui ont apporté leur soutien. Contrairement à Chirac, il semble avoir compris ce qui s’est passé. »
Moins de gras, plus de muscles
Pas sûr que ce soit le cas au PS. Car si la droite, malgré sa victoire, est affaiblie, la gauche, elle, est laminée. Et, en témoignent les atermoiements et tractations autour du désistement au soir du premier tour de la tête de liste du PS en Paca, Christophe Castaner, profondément divisée. Pour Pierre Orsatelli, animateur de « Renouveau PS 13 », « c’est tout sauf une surprise. Il suffisait de voir les listes pour savoir qu’on allait assister à une espèce d’hara-kiri grandeur nature. C’est presqu’une chance qu’il n’y ait pas d’élu à la Région ! Le ménage a, en quelque sorte, commencé. Et ce n’est pas un hasard si l’on atteint le niveau zéro dans une des fédérations les plus archaïques. Il y a tout à reconstruire ! Mais attention, méfiance quand on entend "on a compris le message". Certains disent encore que du temps de Guérini, au moins, il y avait des résultats. »
Un responsable de section se veut confiant : « J’ai vu des gens revenir juste après les élections. Eux ne viennent pas pour un poste – il n’y en a plus – mais pour reconstruire. Et le seul moyen, c’est de retourner sur le terrain. Et de se recentrer à gauche. Car, quand la gauche court après la droite et la droite après l’extrême droite, ça ne profite qu’au FN. » Une position loin de faire l’unanimité. Et Pezet de grincer : « Qu’il y ait des débats, c’est normal. Mais si une clarification est nécessaire, certains vont devoir choisir leur camp. Il faut en finir avec les faux consensus. » Et avec une certaine façon de faire de la politique : « Ça ne fonctionne plus. Rendez-vous compte ! Il n’y a qu’en votant FN que les électeurs ont l’impression de faire de la politique… » Alors quand on l’interroge sur le reste de la gauche, il assène : « Avant, quand on discutait avec le PC, derrière, il y avait des sections, des militants. Aujourd’hui, il n’y a que des chapelles. Et ce n’est pas avec des chapelles qu’on fait la révolution. » L’avocat n’en est pas moins philosophe : « A traverser le désert, on perd du gras et on retrouve du muscle… »
Le communiste Jean-Marc Coppola, lui, a besoin de souffler. Mais aussi envie, avec sa colistière, la verte Sophie Camard, de prolonger l’expérience de la « Région coopérative ». Sauf qu’il leur faut scruter à la loupe la carte électorale pour trouver les coins où ils ont dépassé les 10 %. : « Bon, la Côte d’Azur, c’est la cata. Pour la gauche, c’est une terre de mission… » Reste qu’au national, avec 2017 dans le viseur, les écolos sont toujours aussi schizo et, au Front de gauche aussi, ça tiraille sec. « 10 % et 6 % (Ndlr scores d’EELV et du Front de gauche en Paca en 2010), avec Hollande, ça ne pouvait pas faire 16 % », grince un militant. Coppola est remonté : « Je veux bien qu’on n’est pas audibles, pas crédibles. Mais, avant même les attentats, on a eu une campagne catastrophique où chacun doit assumer sa part de responsabilité. A commencer par les tenants du libéralisme. Néanmoins, ce n’est pas en se repliant sur nous-mêmes qu’on peut rassembler. »
Sauf qu’avec le PS, le torchon brûle. Et que les moyens vont manquer. Réplique de Camard : « Pendant cinq ans, j’ai eu des moyens, j’ai fait des communiqués… Sans le moindre écho. J’ai fait mon mandat dans l’anonymat. » Ajoutant : « On veut parler du fond, vous nous interrogez sur les moyens. On veut causer politique, vous nous questionnez sur les élections. » Coppola se veut toutefois confiant : « Maintenant qu’on est dans l’opposition, on va avoir du temps. Et on va se lâcher ! » En attendant de goûter cette salade (re-)composée, surgissent ça et là – « Nous, la majorité », un mystérieux « collectif de liaison pour une initiative citoyenne » – des appels à lancer « assemblées constituantes » et « référendums populaires »... En écho, ce slogan : « Prenez le pouvoir ! » Qui, avec les régionales, est passé du Front de gauche au… Front National.
Sébastien Boistel et Jean-François Poupelin