Concertation, piège à…
A la veille de la concertation autour de la place Jean-Jaurès, un membre de l’assemblée de la Plaine, collectif opposé à une « requalification » de ce quartier marseillais et de son marché populaire, prévenait : « Ne vous attendez pas à pouvoir discuter du projet. Tout est fait pour casser les groupes, morceler les questions. Et infantiliser. » Dont acte. Res Publica, la boîte chargée d’organiser le dialogue, a investi le conservatoire. A l’extérieur, un rassemblement dénonce « l’enfumage » et prévient : « La Plaine n’est pas à vendre. »
A l’intérieur, une centaine de personnes trouvent place autour de tables au milieu desquelles trône… une assiette de bonbons. « On nous prend pour des gosses ? », râle un participant. C’est le « format cabaret » du cabinet : « Suite à un temps de présentation, peut-on lire sur son site, les participants travaillent par petits groupes pour répondre aux questions posées… »
La Soleam – la société d’aménagement de la ville – comme Res Publica assure que « rien n’est figé ». Pourtant, l’appel d’offre pour la concertation lancé en juillet précise bel et bien qu’un « pré-programme » a été « validé ». Avec, au-delà d’un « diagnostic » et de « quatre scénarios » d’aménagement, un certain nombre d’« invariants » : « doter la ville d’un beau marché qualitatif », « faire monter en gamme la place »…
Infantilisation et manipulation
Pour certains, une véritable déclaration de guerre. D’autant que le timing est serré. Après trois réunions de concertation, la ville sélectionnera en 2016, 4 candidats (une quarantaine ont déjà répondu à l’appel) pour des travaux, entre 2017 et 2019, d’un montant de 11 millions d’euros.
Alors, quand il est demandé à chacun de résumer la Plaine en « trois mots » et dire ce qui pourrait y être amélioré, la salle explose. « Vous êtes payés combien pour ça ? Et vous venez d’où ? Vous avez tué la rue de la République, vous ne tuerez pas la Plaine ! » Une table assène : « Votre concertation ? En 3 mots : infantilisation, manipulation, mépris. »
Res Publica est dépassée et la chargée de projet au bord des larmes. D’emblée, pourtant, elle avait posé les limites : « Ce n’est ni de la co-construction, ni une réunion d’information mais de la concertation. » Une concertation « alibi », grincent certains. « C’est mieux que rien », réplique-t-elle. Patrick Mennucci, député PS, propose un « référendum », le représentant des commerçants des « ateliers thématiques ». Et le patron de la Soleam, Gérard Chenoz, également adjoint au maire LR délégué « aux grands projets d’attractivité », la fin de la récré : « Merci pour ce que vous avez dit. On fera un compte-rendu. Et à la fin, les élus décideront. »
La seconde réunion est moins agitée. Mais malgré l’annonce de la prolongation de la concertation « tout au long du processus », les critiques sont encore vives : « Comment une équipe incapable d’entretenir une place pourrait l’améliorer ? » Et un forain de quitter la réunion furieux : « Avec ce marché, c’est la vie de 300 familles qui est en jeu. Ne l’oubliez pas ! » Et quand la Soleam reconnaît qu’avec les travaux, il y aura « des nuisances », une restauratrice explose : « C’est vous qui allez payer mes salariés ? »
Un entre-deux insatisfaisant
Un fiasco largement prévisible, dixit un spécialiste de la question : « Quand j’ai vu l’appel d’offre, j’ai su que cela allait être ingérable. Comment engager une concertation quand l’essentiel a été décidé ? » Pas la faute, pour lui, de Res Publica : « Avec le boom de la concertation, on voit des acteurs s’investir au-delà de leurs territoires. C’est la seconde fois que ce cabinet parisien intervient ici. Difficile pour lui de dire au commanditaire qu’il se plante. » D’autant que cette mission lui rapporte 30 000 euros sur un budget global de 40 000. Et d’ajouter, à propos de la ville : « Jusqu’ici, Marseille se contentait de réunions d’information. Les confrontations étaient de plus en plus frontales. La ville se met à la concertation. Mais avec du retard. On reste dans un entre-deux qui n’est satisfaisant pour personne. »
L’association « Un centre-ville pour tous » est très remontée : « C’est de la manipulation. On a face à nous des personnes incapables de répondre aux questions et qui font tout pour masquer le fait qu’il y a une étude préalable. Mais on avait déjà vu Res Publica à l’œuvre avec une concertation-marathon fin 2014 du côté de St-Charles », déplore Patrick Lacoste. Pourtant, d’après lui, « il est possible, avec des discussions très en amont, comme à Noailles, de faire autrement ! » Réclamant une véritable « concertation et co-construction », il dénonce les arrière-pensées de l’opération : « Marseille n’a pas plus saisi l’importance de l’économie informelle que de sa vie nocturne. Ce qui compte, c’est faire couler le béton. »
Même son de cloche du socialiste Benoît Payan (par ailleurs administrateur à la Soleam) : « Dans une ville où il faut maintenant une autorisation pour poser un pot de fleurs dans la rue, un quartier pas très normé comme la Plaine, ça ne plaît guère. Et plutôt que d’apporter des améliorations, la ville a décidé qu’il fallait tout refaire. Avec l’idée, derrière la concertation, de passer en force. Certes, Res Publica est en service commandé mais on ne peut réduire la Plaine à un QCM ! Comment s’étonner après si ça va mal ? Mieux vaudrait, comme au square Michel Lévy, envoyer les bulldozers. Ce serait plus clair ! »
Gérard Chenoz reste droit dans ses bottes : « Dans le cadre du Grand projet de centre-ville, la Plaine mérite une requalification. » Et n’apprécie guère la diffusion du « pré-programme » : « C’est un document technique qui n’avait pas à sortir et qui a suscité des craintes injustifiées. » Il assure que le marché « ne sera ni plus grand, ni plus petit. On vient d’ailleurs de se rendre compte que les camionnettes sont indissociables des stands ». Sauf que, quand on l’interroge sur la place de la voiture, il botte en touche : « Le problème, c’est que le Marseillais veut se garer devant le bistrot ou la boulangerie où il va ! » Et de se vouloir rassurant : « La Plaine gardera son esprit bon enfant. » Mais les « invariants » du « pré-programme » n’ont pas disparu : « On parle désormais d’objectifs », avoue la chargée de projet de la Soleam.
Synthèse en fanfare
Autant dire que la mission de Res Publica n’est pas simple. Avouant ne pas « bien connaître Marseille », son patron, Gilles-Laurent Reyssac, explique : « On fait avec les clients que l’on a et les appels d’offre que l’on remporte. Il nous arrive d’intervenir alors que le maître d’œuvre a été désigné. Là, on est plutôt en amont. Oui, il y a des invariants. Mais comme dans toute opération. Et si l’on avait le sentiment que tout était décidé d’avance, nous n’aurions pas postulé. Alors certes, le dialogue n’est pas facile. Et, au-delà des points qui font consensus, les positions sont difficilement conciliables. Ce sera donc aux élus de trancher. Mais ça, ce sont les règles de la République. »
La réunion de synthèse à la mi-décembre a été houleuse. Monique Cordier, ancienne patronne des CIQ (Comités d’intérêt de quartier) désormais adjointe LR de la propreté et des espaces verts, s’y félicite que Marseille ait décroché une « deuxième fleur » au classement des villes fleuries… Mais cela n’arrange rien ! Alors, face aux interrogations d’un Centre-ville pour tous et de l’Assemblée de la Plaine, Gérard Chenoz tombe le masque : « Nous ne faisons pas la politique que vous souhaitez. En 2020, je vous invite à voter pour vos amis. »
Une joyeuse fanfare envahit le Conservatoire en chantant : « Touchez pas la Plaine ! » Réaction de Gilles-Laurent Reyssac aux propos de Chenoz : « C’est sûr que plus on est dans une logique d’élection, moins on est dans la concertation. » La mission du cabinet se termine fin janvier, avec la présentation du « programme » sur lequel plancheront les quatre cabinets qui s’affronteront pour redessiner la place Jean Jaurès. Interrogé, Gérard Chenoz ne sait pas s’il fera à nouveau appel à Res Publica : « Ce sont des pros. Mais maintenant, on devrait pouvoir se débrouiller tout seul. » Déconcertant, non ?
Sébastien Boistel