« C’est toujours l’heure d’agir pour la justice climatique »
Janvier 2015, nous nous rendons à quatre depuis Marseille à Bayonne, sur invitation de l’association Bizi, initiatrice basque du processus Alternatiba. Formation intensive d’environ 100 personnes venues de toute la France pour éplucher la méthodologie d’organisation d’un village Alternatiba. De retour, on réunit les copains au Point de Bascule, et à 60 fin janvier on lance le processus à Marseille qui s’appellera Alternatibaïoli. Après des réunions quasi hebdomadaires, une organisation de 200 citoyens s’est rencontrée et mobilisée, avec plus de 160 structures, 120 artistes et 250 bénévoles afin d’organiser un village marseillais des alternatives et accueillir au passage la dizaine de Basques venus en vélo triplette et quadruplette et parcourant plus de 5600 km pendant 4 mois avant la COP21.
Petit bémol, ou grosse erreur stratégique du cabinet du Maire Gaudin : malgré tous les accords des différents services et autres administrations, celui-ci refuse l’accueil du Tour Alternatiba à Marseille, et n’accorde aucun lieu pour tenir notre village d’irréductibles. 1ère leçon de stratégie : on ne lâche rien, et on mobilise le 24 juin 500 personnes devant la mairie, plus de 250 vélos menés par le collectif Vélo en ville, et 2000 habitants au cours Julien le soir pour un concert sauvage avec le chanteur HK accompagné de musiciens marseillais ! Et 3 500 personnes se réunissent deux jours plus tard sans autorisation pour faire vivre le village des alternatives au changement climatique malgré la pression policière venue tout droit de la mairie de Marseille qui visiblement n’a toujours pas compris l’enjeu du changement climatique et de l’impact que cela va avoir sur les conditions de vie des générations futures.
Laissons aux générations futures le soin de juger pour crime climatique le maire Jean-Claude Gaudin et son directeur de cabinet Claude Bertrand. On savait que le maire de Marseille n’avait déjà pas beaucoup d’estime pour les générations futures – un comble pour un ancien prof d’histoire géo ! – vu l’état des écoles publiques, des parcs de la ville, le niveau des activités périscolaires et le peu de moyens qui y sont mis… Mais c’est pas fini, et le tour Alternatiba lui arrive en beauté à Paris le 26 septembre, avec plus de 50 000 personnes qui l’accueillent à l’occasion d’Alternatiba Paris. Et deux mois après, ce sont les militants venus de toute la France (100 villages Alternatiba en tout depuis 2 ans, cela crée un mouvement avec des méthodes de travail communes !) qui se retrouvent au Quartier génial de l’Ile St Denis, un gymnase aménagé pour l’occasion en lieu de vie alternatif (cuisine vegan, au feu de bois, parc de vélos, toilettes sèches) pour y vivre intensément les 15 jours de la COP21 et surtout y manifester le poids des citoyens du monde face aux gouvernements réunis.
Face à l’état d’urgence déclaré suite aux attentats du 13 novembre, interdisant les manifestations, c’est une chaîne humaine de 10 000 personnes qui est organisée en quelques jours entre République et Nation, sur le tracé même des actes terroristes. L’action est reprise en cœur à Marseille avec 3 500 personnes entre la place Bargemon sur le Vieux Port et le Palais Longchamp (deux lieux qui nous avaient été refusés par la mairie pour y organiser Alternatiba car trop « emblématiques »…). Et puis se succèdent à Paris des actions non violentes pour dénoncer les lobbies pétroliers et les paradis fiscaux : plus de 20 000 milliards y sont stockés, faisant perdre chaque année plusieurs centaines de milliards de recette fiscale aux états de la planète, alors que le fonds vert pour le climat afin de dédommager les pays du sud victimes du changement climatique peine à se faire abonder à hauteur de 100 milliards de dollars par an. Et la BNP y est pour quelque chose puisqu’elle possède notamment plusieurs filiales dans les îles Caïmans, sans employé, mais juste une boite aux lettres. 1/3 des sommes qui passent par la City de Londres passent pas les îles Caïmans, un paradis « réglementaire seulement », comme l’a rappelé en novembre le directeur général adjoint de la BNP lors d’un rendez vous avec les militants d’ATTAC, d’Alternatiba et des Amis de la Terre. Dans ces paradis, il est plus facile de faire varier le niveau de tolérance appliqué à leurs agences satellites… que de suivre les règles fiscales de leur pays et de respecter a minima la démocratie de leur pays …
Rappelons-nous un instant ce que nous a transmis le philosophe Patrick Viveret lors de sa venue à Marseille le 15 novembre : il fait un lien fort à la 25ème minute (à voir sur la Télé du Plateau : https://vimeo.com/146309254) entre l’oligarchie financière mondiale, les trafiquants de tout poil, le terrorisme et les paradis fiscaux : « Cette gouvernance mondiale a deux têtes : l’oligarchie financière et l’économie du crime avec une passerelle énorme entre les deux qui s’appelle les paradis fiscaux »…. et « qu’est-ce qui permet à Daech de se financer ? Ce sont les paradis fiscaux… Et la citoyenneté mondiale doit se donner les moyens de créer un contre pouvoir civique mondial ».
Alors comme la BNP y est pour quelque chose, deux actions sont organisées : la première c’est la fermeture du siège par la BNP elle-même, car l’action était annoncée. « Fermée pour évasion fiscale » avaient accroché les militants qui manifestaient palmiers et crocodiles gonflables à la main devant une cohorte de journalistes… et un cordon de CRS qui a laissé arriver trois chaises tout juste réquisitionnées le matin à la Bastille… Et la deuxième, c’était tout simplement un concert sauvage (on y prend goût !) dans le lounge de la BNP, au cœur du quartier financier de Paris, avec plus de 250 personnes dont le député européen José Bové, qui sautaient de joie tellement c’était bon de désobéir en chantant « Niquons la planète », ce que fait la BNP-Paribas…
En parallèle se bâtissait à Montreuil le village mondial des Alternatives et le sommet citoyens du climat, où 30 000 personnes se sont rendues les 5 et 6 décembre, notamment pour participer au sommet des chaises avec plus de 243 chaises réquisitionnées dans les banques fraudeuses fiscales. L’agora citoyenne a alors lancé l’appel international du mouvement #faucheursdechaises porté par Action non violente COP21, une émanation d’Alternatiba.
La semaine suivante c’est un nouveau bras de fer qui a eu lieu avec le gouvernement qui avait refusé d’autoriser la marche des citoyens le dernier jour de la COP21. Finalement, cette journée s’est maintenue, avec l’organisation d’un lettrage géant géolocalisé dans Paris avec les mots « Climate Justice (for) Peace », puis la tenue des lignes rouges entre l’Etoile et Porte Maillot, soulignant le seuil de 350 ppm de CO2 à ne pas dépasser dans l’atmosphère au-delà duquel le climat va franchir un seuil d’emballement irréversible, puis le rassemblement sur le Champs de Mars de 20 000 personnes, au pied de la Tour Eiffel, symbole de la COP21, qui déclare l’état d’urgence climatique.
A l’issue de cette COP21, on peut retenir quelques points positifs : il y a eu un accord au consensus entre des pays aux intérêts aussi divergents que le Qatar, les îles du Pacifique ou le Bangladesh… accord qui réhabilite l’ONU dont tout le monde se demandait à quoi servait « ce machin » comme l’avait nommé De Gaulle.
Avec un objectif de rester en-dessous des 2°C et si possible 1.5° par rapport aux niveaux préindustriels, cet accord réaffirme l’idée du principe de responsabilité commune, mais différenciée, qui a tant été mis à mal dans les dernières négociations et reconnaît qu’il y a un décalage entre les contributions volontaires des Etats [c’est-à-dire les promesses des Etats en terme d’émission de Gaz à Effet de Serre (GES)] – qui nous mènent au-delà des 3°C ! – et l’objectif des 1.5°. On note aussi que l’accord reconduit les 100 milliards de dollars par an, somme qui devient un plancher minimum et sera ré-évaluable pour permettre l’adaptation des pays aux changements climatiques.
Mais au-delà de ce succès diplomatique, l’analyse plus approfondie du document approuvé au consensus par 195 Etats est loin d’être à la hauteur de l’urgence climatique puisque qu’il ne sera applicable qu’en 2020 et sera révisé en 2025 alors que les climatologues nous disent que nous avons 10 ans pour agir et limiter la hausse à 2°C si l’on veut éviter un risque d’emballement irréversible. De plus, ne figure pas de date pour le pic des émissions de GES, mais simplement un « dès que possible » ! Des versions antérieures du texte retenaient pourtant l’objectif donné par le GIEC de réduire les GES de 40 % à 70 % d’ici 2050.
Ce texte est en fait schizophrénique puisqu’il reconnait le décalage entre les contributions volontaires nationales et l’objectif des 1,5°C. De plus, il ne remet pas en cause la logique libérale d’expansion des échanges internationaux très gourmands en transport (5 % des GES pour l’aérien et 3 % pour le maritime) ni la logique « extractiviste » (sureexploitation des ressources non renouvelables). Il continue à maintenir la référence à « la croissance économique » comme seul horizon politique alors que c’est précisément ce qui est à l’origine du problème.
D’une façon totalement aberrante, l’accord ne mentionne pas les hydrocarbures (énergies fossiles : gaz, charbon, pétrole) qui sont à l’origine des 2/3 des émissions de GES et dont 80 % devraient rester dans le sous-sol pour stabiliser le climat. Ne figure non plus aucun objectif chiffré concernant le développement des énergies renouvelables… Par sa rhétorique habile et alambiquée, ce texte se prête à diverses interprétations, et utilise abusivement le conditionnel afin de ne pas engager les Etats.
Contrairement à ce qu’a dit Laurent Fabius (qui présidait les négociations) en conclusion sous les applaudissements des diplomates, le texte n’est pas vraiment contraignant puisqu’il y a possibilité de retrait : pour entrer en vigueur en 2020, l’accord devra être ratifié, accepté ou approuvé par au moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Mais, « à tout moment après un délai de trois ans à partir de l’entrée en vigueur de l’accord pour un pays », chaque Etat pourra s’en retirer, sur simple notification (donc jusqu’en 2023). Pour finir, les « responsabilités ou compensations » des pays du nord vis-à-vis des pays du sud pour les préjudices sont exclues de l’accord…. ça aura été le lourd prix à payer par les pays du sud pour que le 1.5° soit mentionné dans l’accord…
Tous les engagements seront annexés à l’accord, mais ils n’en font pas partie stricto sensu. Étant volontaires, ils n’ont pas de valeur contraignante. La seule marge de manœuvre que pourront avoir les pays pour contraindre les autres, sera de les désigner du doigt en espérant qu’ils aient honte de ne pas avoir tenu leurs promesses… Mais pas de les sanctionner. On notera le contraste avec les accords de libéralisation du commerce et de l’investissement qui sanctionnent financièrement les pays lorsqu’ils ne respectent pas les règles établies : encore rien de tel en termes de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre n’est prévu.
L’accord de Paris ouvre sans le nommer, la porte à la géo-ingénierie, fuite en avant d’un système qui joue aux apprentis sorciers avec la planète faute de pouvoir régler les problèmes à leur sources. En effet, il laisse la possibilité aux pays d’utiliser des mécanismes de compensation carbone pour atteindre leurs objectifs, au détriment d’une réduction domestique des émissions (notamment des pays les plus émetteurs). Et enfin, le fonds vert (provenant de la revente des chaises des banques… si si on y croit !!) de 100 milliards : dans quelles poches iront-ils ? Qui en contrôlera l’usage ? Qui paiera et selon quel barème ? Voilà tant de questions en suspens et les limites de cet accord « historique ».
Ce qui sera historique, c’est moins cet accord que l’ouverture d’une séquence nouvelle pour la société civile, avec la construction d’un mouvement vital et créatif de résistance à l’air du temps quitte à généraliser la désobéissance civile. Une génération nouvelle aura utilisé 2015 et la COP21 comme un tremplin pour construire le mouvement à la Gandhi pour la justice climatique, œuvrant pour la survie dont l’humanité à tant besoin pour sortir de ce système mortifère. En écho à cet élan joyeux, puissant et inventif il est de la responsabilité de chaque habitant conscient de la planète de rejoindre cette dynamique mondiale pour pouvoir enfin regarder ensemble l’avenir avec espoir et désir. Cette année nous a plus que jamais appris à ne rien lâcher…
Fiesta locale de retrouvailles le 30 janvier à l’Équitable Café, avec le lancement du webdoc 23h57 l’heure d’agir pour le climat par Fokus 21, une présentation des travaux sociologiques d’Agnès Haincaut sur le mouvement Alternatibaïolesque, et une soirée festive Alternatibaïoli avec tous les mouvements qui se sont investis pour la sauvegarde du climat – car il est nécessaire de célébrer notre année de lutte – avec tous les militants et citoyens marseillais qui ont compris que le climat est dorénavant notre chapeau commun. Comme le chante HK : « c’est pas fini, pas fini, que cela ne fait que commencer ! »