Une métropole tuée dans l’œuf
Soleil sur la pelouse verte éclatante du parc du Pharo. En contrebas, sur l’esplanade du J4, par-delà l’embouchure du Vieux-Port, trône l’imposant chapiteau du cirque Bouglione. Le 9 novembre dernier se tenait à Marseille la première séance de la métropole Aix-Marseille-Provence, institution à la préfiguration tumultueuse. Une loi « imposée par Paris » pour l’immense majorité des maires du territoire. Mais il ne fallait pas s’y tromper, le cirque ce matin-là se déroulerait lors de cette séance introductive et surréaliste au terme de laquelle Jean-Claude Gaudin, le sénateur-maire Les républicains (LR) de Marseille, a été élu président de la métropole avec 119 voix sur 169 votants (1).
Un spectacle comme seul le personnel politique local en a le secret ! Maryse Joissains, maire LR d’Aix-en-Provence, farouche opposante à cette nouvelle méta institution avait l’honneur de présider la séance, doyenne des présidents des six intercommunalités qui la composent. Avec l’idée de la clore sans l’élection du président inscrite à l’ordre du jour) à l’ordre du jour. Peu de temps auparavant, le tribunal administratif de Marseille fragilisait l’institution en suspendant deux arrêtés du préfet des Bouches-du-Rhône suite à un recours déposé par le maire LR d’Eguilles, dans le Pays d’Aix, Robert Dagorne. Il s’attaquait à la représentativité des communes en nombre de sièges au sein de l’hémicycle. Depuis, le Conseil d’état a transmis une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel qui devra se prononcer avant le 2 février.
Dans une ambiance pagnolesque, les pros Joissains et les pros Gaudin, du même bord politique (lire page 12), se sont succédé pour approuver, ou non, un vote ce jour-là. En bref, élire ou non Gaudin. Maryse Joissains a fini par lever la séance, de suite rouverte par le meilleur ennemi de Jean-Claude Gaudin, le président LR de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM) Guy Tessier. D’autres recours seront ensuite déposés concernant la légalité du vote. « J’ai honte de ce spectacle, reconnaît le maire LR de Cassis, Danielle Millon. Mais je pense qu’il fallait qu’on en passe par là pour avancer. » Méthode Coué…
Car le malaise n’est pas dissipé pour autant. Comment une institution peut-elle fonctionner si la majorité des élus y vont à reculons, voire pour certains, avec la volonté de la neutraliser ? « Bien sûr qu’on veut torpiller la métropole », scande le maire d’Eguilles Robert Dagorne. Il n’arrive toujours pas à digérer « le putsch du président qui n’a pas été élu à la majorité du nombre d’élus ». Sempiternel argument, payer les pots cassés pour « Marseille la pauvre » : « dans toutes les métropoles qui ont vu le jour, la ville centre tire les autres vers le haut. Là c’est le contraire. »
Pas trop de démocratie participative !
Jacques Boulesteix (2), ancien président, apparenté socialiste, du conseil de développement de MPM, tient à dénoncer quelques contre-vérités : « C’est à Martigues qu’on trouve le taux de chômage le plus élevé. "L’interco" la plus endettée par habitant est le SAN Ouest Provence. La commune ? Aubagne. Concernant les impôts, la taxe d’habitation est de 8 % à Marseille, quand elle est de 10 % à Aix-en-Provence… » Pour lui, le grand drame c’est que les membres de cette institution n’ont pas été élus au suffrage universel direct. Ce qui sera le cas en 2020. « D’ici là, il ne se passera rien. Gaudin musellera tout ça, confortera l’administration d’aujourd’hui et la concurrence entre les territoires continuera d’exister », déplore Jacques Boulesteix. Il faut dire que le territoire a déjà quarante ans de retard. Gaston Deferre n’a jamais voulu faire de métropole de peur de se faire déborder par les communistes alors en position de force autour de Marseille. Et maintenant, à la différence d’une métropole comme Lyon où les choses se sont faites plus simplement car déjà calquées sur une intercommunalité, ce sont six ensembles aux pourtours déjà contestables qu’il va falloir unir.
« La métropole sera ce que les citoyens en feront, poursuit Jacques Boulesteix. Il ne suffit pas d’aller voter tous les 6 ans. Il va falloir inventer de nouvelles façons de faire de la politique, de faire vivre la démocratie. » Des mots d’ordre que n’a pas l’air de partager Yves Moraine, proche de Jean-Claude Gaudin et maire LR des 6ème et 8ème arrondissements : « Je ne suis pas fan de la démocratie participative. Je m’en remets au vote. Nous avons fait de la pédagogie lors des élections municipales. » S’il reconnaît que le démarrage de la métropole est poussif, il se veut optimiste. « La mécanique administrative est en route », affirme-t-il. Tout en assurant que Jean-Claude Gaudin est la meilleure garantie pour mettre d’accord tous les élus du territoire.
Si la machine administrative est bien en route, certains ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés. Les syndicats, et notamment le puissant territoriaux FO, craignent qu’avec la fusion des six intercommunalités et la volonté affichée du gouvernement de faire des économies, la métropole ne cache un grand plan social pour les 7600 agents concernés. Peu d’éléments sur les conditions de leurs transferts leur ont jusqu’à présent été donnés. Même inquiétude du côté du conseil départemental qui doit, peu à peu, se faire absorber par la métropole d’ici 2018, lui et son budget de plus de 2 milliards d’euros qui aiguise tous les appétits. « On n’est au courant de rien, à part quelques petites compétences qui vont être transférées en janvier », assure Alain Zammit, délégué syndical CGT au département.
Advienne que pourra
« C’est la grosse interrogation, confirme Michèle Rubirola, élue Europe Ecologie – Les Verts au conseil départemental. On ne sait même pas si les élus vont être fondus dans la nouvelle métropole. » En ajoutant que, pour l’instant, c’est le moment des tractations pour Jean-Claude Gaudin, notamment en préparant minutieusement la nomination des vice-présidents afin de faire plaisir à tout le monde. « La métropole qui se met en place n’est pas celle que nous voulions, celle de la solidarité, du développement durable et le de la cohérence des transports », note encore l’élue écologiste.
Pas non plus celle de Gaby Charroux, député-maire PCF de Martigues. Opposé de prime abord à la métropole, il détaille dans un ouvrage (3) sa vision de l’institution en guise de programme électoral. Qu’il n’aura même pas eu à défendre puisqu’il a renoncé à la présidence lors « du putch » de Jean-Claude Gaudin. Lui aussi pense, comme les syndicats, que ce gros machin est pensé par une technocratie libérale, que les services publics vont encore un peu plus s’éloigner des administrés et milite pour que la société civile soit beaucoup plus impliquée.
Les faibles moyens dont disposera la métropole est un argument sur lequel tout le monde semble en tout cas s’accorder. Les budgets des six intercommunalités seront scindés et l’Etat viendra rajouter 66 millions d’euros au pot, « même pas trois kilomètres de tramway », critiquent quelques élus. Mais on en revient toujours au même refrain usité : la perte de pouvoir local des maires au profit d’une intelligentsia centralisée. « Ce n’est pas possible de dessiner nos paysages depuis Marseille », peste Robert Dagorne qui milite pour un pôle métropolitain avec moins de compétences : transports, économie, environnement. Car derrière la métropole se cache le tabou du PLU, ce document administratif qui modélise l’urbanisme de nos villes ou villages.
Dans un territoire gangréné par le clientélisme, « c’est le principal outil de leur réélection », estime Jacques Boulesteix. Si les PLU devaient être établis à l’origine par la métropole, Jean-Claude Gaudin a pourtant obtenu du Sénat qu’ils soient gérés par les conseils territoriaux, avatars des intercommunalités. « Si un maire n’est pas satisfait contre le SCOT, qui comprend le PLU, 2/3 des conseillers devront voter contre lui pour qu’il ne soit pas entendu… Cela n’arrivera jamais », soupire Jacques Boulesteix qui y voit un frein à l’organisation cohérente du territoire en termes de transports, logements sociaux, projets économiques etc. Le président de l’association des maires des Bouches-du-Rhône, Georges Cristiani, le maire sans étiquette de Mimet, se lance dans une grande métaphore : « l’Etat nous a livré un bâtiment brut de décoffrage. Il va falloir qu’on construise un toit, qu’on y mette des portes et des fenêtres. » Il ne manque plus qu’à trouver des truelles.
Clément Chassot
1. La métropole compte 240 conseillers mais des élus du Pays d’Aix ainsi que du FN et du Parti communiste ont quitté la salle avant le vote.
2. Auteur d’un ouvrage dédié à la métropole, Entre peur et raison aux éditions de l’Aube. 222 pages, 19,40 euros.
3. Métropole, un autre chemin. Editions des fédérés, 121 pages, 8 euros.
Enquête publiée dans le Ravi n°135, daté décembre 2015