Quand l’aide au pluralisme de la presse s’arrête au périph’ !
Noël avant l’heure ! Le Monde Diplomatique, Politis, Causette, et une quarantaine d’autres titres, ont obtenu, en novembre, un soutien bienvenu de l’Etat. Ces journaux reconnus « IPG », c’est-à-dire des titres « d’information politique et générale », recevront désormais une « aide directe », proportionnelle à leur tirage, parce qu’ils peuvent attester « de leurs faibles ressources publicitaires ». En clair, leur revenu provenant de la pub est inférieur à 25 % de la totalité de leur chiffre d’affaire. Ce dispositif existait déjà mais était réservé, pour l’essentiel, aux quotidiens nationaux : L’Humanité, Libération ou La Croix sont ainsi aidés par l’Etat depuis de nombreuses années.
En explorant toutes les pistes pour réussir notre redressement judiciaire, éponger nos petites dettes, poursuivre notre parution et trouver des ressources afin de pérenniser notre mensuel pas pareil, nous avons été reçus début 2015 à la DGMIC, la Direction générale des médias et des industries culturelles, aujourd’hui rattachée au ministère de la Communication. C’était au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo où le sort de la presse indépendante, satirique de surcroît, est devenu un sujet d’intérêt national après des années d’indifférence. le Ravi est reconnu depuis longtemps comme un titre « IPG ». L’hypothèse qu’il soit inclus parmi les titres à « faibles ressources publicitaires » semblait, nous a-t-on expliqué, à la fois naturelle et légitime.
De l’eau dans le gaz
Mais avant l’été, les services de la DGMIC nous préviennent qu’il y a de l’eau dans l’usine à gaz : le ministère a arbitré et souhaite réserver son aide aux seuls titres « nationaux ». Ici, faisons une incise : la définition administrative du caractère « national » d’une publication n’est pas extrêmement précise. Elle ne repose pas, par exemple, sur le périmètre de la zone de diffusion. C’est donc la CPPAP, la Commission paritaire des publications et agences de presse, où siègent des syndicats d’éditeurs et l’Etat, qui tranche. Et qui, en novembre, a acté le caractère « local » du Ravi. Précisons que Charlie Hebdo ne sera pas aidé, lui non plus, parce qu’il diffuse désormais au-delà du seuil de 300 000 exemplaires.
Nous ne ferons pas appel de cette décision de la CPPAP même si les arguments ne manquent pas pour attester du caractère « non local » de notre titre, diffusé chez les marchands de journaux d’une région de 5 millions d’habitants, lu par des abonnés dans toute la France, traitant, avec des éclairages régionaux, de l’actualité nationale et comportant, depuis un an, une rubrique méditerranéenne. Bien des journaux reconnus « nationaux », parce qu’édités à Paris, rayonnent sur un périmètre francilien bien plus restreint que le nôtre ! Et puis le choix du gouvernement est d’autant plus absurde que les hebdomadaires régionaux à faibles ressources publicitaires sont aussi aidés au titre du pluralisme. Inclure le Ravi, et une poignée de titres IPG « locaux », aurait par ailleurs un coût marginal sur les 4 millions d’euros investis dans cette réforme.
Sur le fond, notre mésaventure est un indicateur de l’absence de lisibilité de la politique du gouvernement. Fleur Pellerin va dans le bon sens lorsqu’elle réduit les aides indirectes aux médias, jusqu’alors distribuées indistinctement aux titres les plus commerciaux. Nous applaudissons quand la ministre supprime les aides postales à « la presse de loisir et de divertissement » du type Closer. Nous approuvons lorsqu’elle exclut de l’aide au pluralisme les titres « condamnés pour racisme, antisémitisme ou incitation à la haine ou à la violence au cours des cinq dernières années », à savoir Présent, Rivarol, Minute ou Valeurs Actuelles.
Là où le bât blesse
Avec le réseau Médias citoyens, auquel nous adhérons, et qui fédère des journaux édités par des associations, se déployant dans des projets de journalisme participatifs et des actions d’éducation populaire, nous nous réjouissons aussi d’un projet gouvernemental qui pourrait, en 2016, marquer un saut qualitatif. Le ministère de la Communication envisage, en effet, la création d’un fonds de soutien aux médias citoyens et de proximité inspiré du FSER, le Fonds de soutien à l’expression des radios locales créé en 1982. Ce serait pour ces télévisions participatives, ces médias de quartier, ces sites web citoyens, le début d’une reconnaissance indispensable.
Là où le bât blesse, c’est que ce fonds de soutien aux médias citoyens – environ 400 en France – serait seulement doté de 1,5 millions d’euros. A titre de comparaison, toutes les radios associatives sont soutenues via le FSER – et c’est encore bien insuffisant – à hauteur de 30 millions d’euros. En 2014, sur les 282 millions d’euros distribués par l’Etat en aides directes ou indirectes, ce sont toujours les grands groupes de presse qui raflent la mise : Amaury (plus de 21 millions), le groupe Le Monde (17 millions), Altice Media Group, Lagardère Interactive… Des groupes eux-mêmes aux mains des plus grandes fortunes de France, des industriels du bâtiment, de l’armement, de la téléphonie.
Résumons. Parce que nous pensons que la loi du marché ne peut déterminer à elle seule quels journaux ont le droit d’exister ou de disparaître ; parce que la défense d’une presse libre est un enjeu politique pour faire vivre le droit d’informer et celui d’être informé, nous revendiquons, pour nous et pour la presse pas pareille, une application équitable des aides au pluralisme de la presse au-delà des frontières du périphérique parisien.
Le tribunal vient d’acter la fin de la période d’observation du redressement judiciaire de la Tchatche, l’association qui édite le Ravi. Cela veut dire que la tutelle administrative est levée et que nous sommes en capacité de rembourser nos dettes. Multiplier par deux nos abonnés nous a permis de redresser les bras. Mais l’objectif de 5000 abonnés, qui placerait ce journal à l’abri de toutes pressions économiques et politiques, reste à atteindre.
Soyons clair. La mobilisation pour convaincre 0,1 % de la population de Paca de financer l’indépendance d’un journal libre doit se poursuivre. Vos abonnements ce sont, pour nous, le meilleur soutien qui soit.
Michel Gairaud