« On ne s’habitue pas à la mort »
Mon maire, mon patron
« Avant, on ne disait pas que le travail était pénible, parce que l’organisation du travail était vachement intéressante. On travaillait une semaine de 84 heures, sept jours à 12 heures, et on avait quatorze jours de repos. Mais on n’avait pas de congés. Par contre, ça nous permettait d’évacuer et il n’y avait jamais d’absence. Depuis [que la ville] a imposé un roulement en quatre/trois dans le cadre de la réforme du temps de travail, il y a beaucoup d’absences et d’accidents. On n’arrive plus à récupérer du travail de nuit, ni à évacuer. On n’a plus de vie. En plus, avec cet emploi du temps fractionné, on n’a plus que 17,5 congés annuels et seulement 4,5 jours de RTT. Alors qu’on fait 35 heures ! »
« Notre travail, c’est le transport de corps sur ordre de la police, de la préfecture, du Samu. Les morts violentes, les découvertes de corps, les défenestrations, les maisons de retraite. Le pire c’est les trains, il faut ramasser les morceaux. On les amène à l’institut médico-légal si c’est une réquisition de police, sinon ici, au funérarium, si c’est une mort naturelle. En général, on fait quatre à cinq interventions dans notre journée, même si ça n’est pas un boulot régulier. Normalement on est trois, mais avec les arrêts on travaille en général à deux. Ce qui peut poser problème, quand on doit porter un corps de 140 kg. Quand vous le descendez dans les escaliers, vous êtes content du voyage ! »
« En ce moment c’est calme, mais de mars à novembre dernier on a fait beaucoup de “pourris”, les corps en décomposition. Il faut le voir pour le croire ! Parfois, la police n’entre même pas dans le logement. D’autres fois, vous arrivez dans une pièce, c’est une décharge et c’est à nous de déblayer alors que ça n’est pas notre travail. Mais le pire, ces sont les odeurs, elles restent. Et puis, on ne pourra pas transporter des corps comme ça jusqu’à 65 ans. Mais, ici, ils ne reconnaissent pas la pénibilité de notre travail. »
« Surtout, vous avez une routine de travail, mais on ne s’habitue pas à la mort. Quand il y a la famille, les parents, alors que vous allez chercher le bébé dans le lit, ou de jeunes adolescents, vous le prenez en pleine figure. C’est pour ça que la médecine du travail avait accepté à l’époque notre rythme de travail. Pour que l’on puisse récupérer, évacuer, se changer les idées. »
Propos recueillis par Jean-François Poupelin
* Le prénom a été changé