Saillans : le village des irréductibles !
Bienvenue au royaume du tutoiement et des phrases à rallonge. Ici, la politique se pratique comme dans un de ces séminaires qui vous promettent l’épanouissement de soi. Tous en rond, les yeux fermés, le petit doigt en l’air accroché à celui du voisin. Les participants du festival « Curieuses démocraties », qui s’est tenu à Saillans (26) fin septembre, sont venus pour emporter un petit bout de démocratie participative, et pourquoi pas la faire germer ailleurs. Un animateur, ou plutôt un « facilitateur d’intelligence collective », bourdonne dans un micro. « Maintenant, vous allez plonger en vous et dire à haute voix ce que vous évoquent ces trois mots : démocratie… participative… locale… » Après quelques hésitations, plusieurs personnes se lancent : « temps », « expérimentation », « confiance », « humain ».
Quand un cinglant « foutage de gueule » fuse, des éclats de rire étouffés résonnent aux quatre coins de la salle. Oui, quelques sceptiques se sont glissés dans un des ateliers du samedi après-midi intitulé « expériences croisées de démocratie participative locale ». Pourtant, ça fonctionne plutôt bien à Saillans depuis l’élection, en 2014, d’une liste collégiale. Des « grandes » orientations ont été prises, telles que la modification de l’éclairage public, la création de zones de stationnement et le projet de construction d’une nouvelle salle des fêtes. Loin d’être un folklore, les ateliers du festival Curieuses démocraties donnent à voir la politique telle qu’elle se pratique à Saillans.
« L’élément déclencheur a été l’affaire du supermarché », explique Agnès Hatton, adjointe aux finances. La pression populaire devenant trop forte, l’ancien maire avait dû – six mois avant les élections – annuler la construction d’un supermarché aux portes du village. De réunion publique en réunion publique, un collectif de Saillansons a pensé un système politique basé sur le partage des pouvoirs entre villageois. Une « constitution » a été élaborée dans la foulée de la victoire aux municipales. « Rien n’avait été planifié. Personne ne voulait être maire, alors on a désigné Vincent Beillard pendant son absence », commente amusée Agnès Hatton.
Sur les 1210 habitants que compte Saillans, environ 200 participent à la vie politique du village. Les « grandes » décisions sont prises en amont, lors de comités de « pilotage » convoqués deux fois par mois. Trois thèmes maximum sont débattus dans ces assemblées de 20 à 30 personnes. Les votes se font à l’unanimité et les débats sont encadrés par un animateur. Tristan Rechid, membre du conseil des « sages » précise : « Pour convoquer un comité de pilotage, il faut que plusieurs villageois aient soumis préalablement une même proposition. Le conseil municipal fait ensuite remonter l’avis de ces commissions. » Conséquence, le conseil municipal est une formalité. « On l’expédie en quelques minutes », témoigne Sabine Girard, adjointe déléguée à l’environnement.
Le conseil des « sages » est une instance de conseil, de formation et de régulation. Douze personnes non-élues y siègent une fois par mois. Elles sont chargées de vérifier la bonne marche des institutions, de former les animateurs, de promouvoir la démocratie participative et de mener des études d’impact. L’intégration politique de tous les Saillansons est le grand défi que s’est fixée la mairie.
« Je suis mieux qu’une élue, je suis citoyenne. Ma voix doit compter autant que celle d’un maire. » Malika est venue au festival pour apprendre. Elle souhaite mettre en place une démocratie participative dans son petit village d’Ardèche. Ils sont nombreux, comme Malika, à vouloir suivre le modèle de Saillans. L’essaimage est d’ailleurs le thème d’un des ateliers phares du festival : « premier pas pour constituer une liste participative ». Une trentaine de curieux sont assis en cercle autour de Tristan Rechid, pour recevoir les conseils du « sage ». L’association La Parole aux Citoyens de Mallemort (13) souhaite attirer plus de monde lors de ses réunions publiques. « Vous devrez vous ouvrir pour ne pas finir dans un entre soi, attirer des gens importants et quitte à travailler avec un chasseur homophobe, il vous faudra trouver des points communs à l’échelle du village », conseille Tristan Rechid. Avant de mettre en garde : « Chaque commune devra créer son propre système de démocratie participative. »
Si la mayonnaise de la démocratie participative a aussi bien pris à Saillans, c’est aussi parce que le village a accueilli depuis 10 ans de nombreux « néo ». Ces nouveaux habitants, qui ont fui les grands centres urbains pour vivre à la campagne une vie saine, pleine d’idéaux… démocratiques.
Sylvain Labaune