Et au milieu coule une rivière
Début 2020 : au pied des Alpilles, ça pleut sec. Pas question pour Richard Bénière de boire l’eau de son puits à Mollégès : « Comme on fait chambre d’hôtes, on est soumis à contrôle. Mais le 7 novembre 2018, alerte de l’Agence régionale de santé (ARS) : eau impropre à la consommation ! Présence de bactéries coliformes, escherichia coli… » Pourtant, en 2012, les analyses de son forage étaient « conformes » pour l’hydrogéologue qui, notant un double traitement des eaux, lui donne, même si la fosse d’évacuation est à moins des 35 mètres réglementaires du forage, son agrément. Suite aux mauvaises analyses de l’ARS : « Diarrhée sanglante avec hospitalisation » ! D’après Richard Bénière, dans cette zone agricole où 200 personnes n’auraient que leur forage pour source d’eau (seule une poignée se soumettant à contrôle), les « pathologies intestinales graves » ne seraient pas rares. Un des voisins, Urbain Chabaud (pharmacien au village d’à côté, Eygalières) a fait analyser lui aussi son eau : « contamination fécale » et « dosage de sulfates haut », la consommation n’est donc « pas recommandée ».
Il y avait déjà eu à l’automne 2018 de forts épisodes pluvieux. La faute à la pluie ? Notre riverain en doute. Et porte plainte. D’abord « contre X pour pollution bactériologique et chimique ». Puis, fin 2019, pour « pollution du captage privé d’eau potable » contre la municipalité de Mollégès. Ancien de Renault, il est intarissable sur l’eau : « On est à côté de la Durance, en zone karstique, avec des laurons, ces sources jaillissantes. Et s’il y avait avant des marécages, dans l’Antiquité, un aqueduc partait d’ici et alimentait Arles en eau. Une zone reconnue “ressource majeure d’enjeu départemental à préserver pour l’alimentation en eau”. Alors pourquoi avoir installé ici deux stations d’épuration ? »
Du beau monde
La plus ancienne jouxte les serres du fils du maire et ancien conseiller départemental (DVD) Maurice Brès. En 2007, ce dernier accepte d’accueillir la station d’épuration d’Eygalières, village cossu perché à 100 mètres d’altitude, sur le territoire de sa commune, en bord de départementale, 50 m en contrebas. Face aux eaux troubles qui sortent de la station vers l’Aiguillon via la roubine du Tiran, Bénière tique : « Imaginez la pente que dévale l’eau quand il pleut ! Et pourquoi cette station est chez nous ? Après, à Eygalières, y a du beau monde. Drucker, Sabatier… Pas sûr qu’ils voulaient d’une station. » Explication du maire d’Eygalières Bernard Wibaux : « Non, simplement, l’ancienne station, qui était proche des habitations, était arrivée à saturation. » Son homologue de Mollégès, Maurice Brès, complète : « Ils avaient du mal à trouver un terrain. Nous, on a pu raccorder le quartier de la gare. Et personne ne s’est jamais plaint ! » Réplique du retraité : « Bien sûr, personne n’y a intérêt ! Ici, y a des gîtes, des maraîchers en bio… » Pierre Priolet, paysan du cru qui, face à la grande distribution, s’était illustré en arrachant ses pommiers (Cf le Ravi n°82), fait la moue : « Ancien élu, je sais qu’une station, c’est très contrôlé. Qu’un forage, c’est compliqué. Et que les mas étaient faits pour une famille, pas pour faire gîte. »
Mais quand début 2019, lors des discussions du PLU, est évoqué le remplacement d’ici cinq ans de la station de Mollégès, Bénière demande « la suspension de l’enquête publique pour vérification des expertises géologiques et hydrogéologiques par le BRGM », le Bureau de recherches géologiques et minières. En vain. Il sollicite alors la préfecture. Sans plus de succès. Pour elle, la « police de l’eau atteste du bon fonctionnement » de la station et l’ARS de « la qualité de l’eau ». L’administration rappelle qu’en 2012, il avait été indiqué à Richard Bénière : « La nappe dans laquelle pompe votre forage est vulnérable. » Et « en cas de fortes pluies, il est observé une augmentation significative des non-conformités bactériologiques de l’eau ».
Un enjeu principal
Ce que répète Camille Girouin de l’ARS : « Dans le secteur, les laurons donnent accès à la nappe. Quand elle est en dépression, il peut y avoir contamination. Néanmoins, les contrôles sont conformes. » Pour l’ingénieure, les stations sont trop loin pour poser souci. « Et puis avant, c’était des marécages. Et puis, y a des chevaux, de l’activité agricole… S’il y a pollution, ça doit venir plutôt de là »,glisse le maire qui copréside le Champ, un organisme de l’union des maires qui vise les permis de construire et l’activité en zone rurale. Quant au Sivom, le syndicat en charge jusqu’à peu des deux stations, il précise qu’« en zone d’assainissement non collectif, les pollutions de forage par des installations défaillantes sont régulières ». Mais, lit-on dans l’étude d’impact réalisée avant la construction de la station d’Eygalières, « le risque de pollution des eaux souterraines par la station n’est pas nul », la nappe étant « peu profonde » et les sols ne pouvant « jouer un rôle parfait de protection imperméable ». Idem pour le BRGM : « La qualité de l’eau issue directement des laurons ne devrait pas être impactée par les [stations]. Mais il est probable que s’[il y a] des rejets, [ils] vont se mélanger aux eaux souterraines superficielles qui s’écoulent probablement lentement. »
En 2017, la mission régionale d’autorité environnementale avait pointé, dans son avis sur l’assainissement à Eygalières, comme « enjeu principal la qualité et l’état écologique des eaux de surface et souterraines et le risque de pollution ». France Nature Environnement s’est penchée sur le dossier mais sans trancher. Prudents, les voisins de Richard Bénière, eux, l’ont fait. L’un nous dit avoir un « cancer. Je ne sais si c’est l’eau ou la station. Mais je ne bois plus que de l’eau en bouteille ». Quant à son voisin pharmacien, il avoue : « Moi, mes bouteilles, je les remplis à ma pharmacie, à Eygalières. »