« Nous n'avons rien à nous reprocher !»
08:20
Devant l’ultime conseil municipal de Jean-Claude Gaudin, ce 27 janvier 2020, l’école Ruffi manifeste. En pénétrant dans l’espace Bargemon, une groupie révise ses punch-lines : « émotion, tristesse… ». Dans le hall, le nombre de sièges pour que le public puisse suivre sur écran le conseil a été doublé. Le socialiste Benoît Payan descend les marches avec la rigidité qui sied à celui qui devra passer son tour. Le nageur Frédérick Bousquet, lui, se fait discret, suite aux dernières révélations de Marsactu et de La Marseillaise dans le cadre de notre consortium médiatique, l’élu, qui devait être désigné pour représenter la ville dans la société publique créée pour lutter contre l’habitat indigne, ayant fait, en vendant un taudis à Marseille Habitat, une belle culbute. D’ailleurs, il boite (Ndlr In fine, il lui a été prudemment préféré Sabine Bernasconi, la maire LR du premier secteur).
08:25
Ça se succède à la tribune pour saluer le maire : Benoît Payan mais aussi Stéphane Ravier, le sénateur d’extrême-droite (RN). Le Monsieur santé de la majorité, Patrick Padovani, lui, pour immortaliser l’instant, sort un télé-objectif de la taille d’un fusil d’assaut.
08:37
Ça attaque en force avec les 1ers éléments de l’audit sur l’école, qui permet à Danièle Casanova, l’adjointe aux écoles, d’expliquer, sans rire, que « les critiques qui nous étaient adressées étaient totalement infondées : toutes les écoles ont été visitées, aucun bâtiment ne constitue une menace pour la sécurité des personnes qui les fréquentent, l’état général se classant entre moyen et satisfaisant ». De quoi faire s’étrangler l’opposition. Pour Payan : « Vous êtes comme l’homme qui tombe d’un immeuble de 50 étages. Et qui, à chaque étage, répète : “Jusqu’ici, tout va bien..”» Et de promettre que « la 1ère délibération que notre majorité de gauche prendra sera d’annuler la délibération qui a privé les enfants de l’école Ruffi de la nouvelle école qui a été construire ». Sandrine D’Angio, maire de secteur RN dans le « 13/14 », enchaîne en dénonçant « l’enfumage ». Lisette Narducci, la maire du « 2/3 » qui a rejoint Bruno Gilles, le candidat dissident divers droite, grimace : « Il n’y a pas un conseil d’arrondissement où la question des écoles n’a pas été abordée. Vous ne m’avez jamais reçue ! » Casanova se dit « très étonnée que vous puissiez remettre en question cet audit ». Et Gaudin lance « stop à l’école bashing ». Avant d’asséner, droit dans ses bottes : « Vous peignez tout en noir. Nous n’avons rien – ou pas grand chose – à nous reprocher. »
09:29
La frontiste Jeanne Marti part à l’assaut du 1er rapport, relatif à la Cop 21. De quoi faire sortir de ses gonds Gaudin. Qui, pour se détendre, titille son adjoint à la santé : « Alors, M. Padovani, c’est bon, il n’y a plus de punaises de lit ?! »
09:35
Caroline Pozmentier-Sportich, adjointe à la sécurité, qui a décidé de rejoindre le candidat macroniste Yvon Berland, ne comprend pas pourquoi on ne lui donne pas la parole pour défendre un rapport qu’elle devait, sur le papier, présenter… Elle l’aura enfin quand le communiste Jean-Marc Coppola se fait l’écho du recours de la LDH et de la Quadrature du net contre la « vidéoprotection intelligente ». Elle en profite pour défendre le bilan du maire en matière de sécurité. Ravier raille : « C’est pour ça qu’elle vous plante un couteau entre les omoplates ! » Pendant ce temps, la présidente du Conseil départemental et de la métropole et candidate LR aux municipales, Martine Vassal, arrive, sans se presser.
09:58
A l’occasion d’une salve de délibérations sur les pompiers, Gaudin rend hommage à l’un de ses prédécesseurs, « M. Henri Tasso. Car, en 1938, il a dû faire face à l’incendie des Nouvelles Galeries. Il y a eu 73 morts. Nous, nous en avons eu 8. Et c’est ma hantise ». Il en profite pour saluer ces hommes « qui sont des militaires, et donc qui ne se livrent à aucune surenchère syndicale ». Et « l’aide du Conseil départemental, qui a été considérable, dans tous les domaines et nous tenons à adresser à sa présidente la reconnaissance de la ville ». Vassal s’installe enfin en face de celui auquel elle est censée succéder. Au grand dam de l’outsider, Bruno Gilles, qui, de tout le conseil, ne pipera mot.
10:01
Coppola profite d’une délibération sur le personnel pour dénoncer la « réquisition des personnels dans les écoles qui les empêchent de se mobiliser contre le projet de réforme des retraites d’Emmanuel Macron ». Le maire, ancien prof d’histoire-géo (dans le privé), tombe le masque et fustige « ceux qui empêchent les enfants de manger » !
10:08
Sauf à faire l’objet de discussion, seul le numéro des rapports est évoqué. Alors, pour tromper l’ennui, Gaudin interpelle ses élus : « Alors, M. Rey, ça va bien dans les cimetières ? »
10:20
Après une nouvelle tentative de l’ex-socialiste, désormais macron-compatible, Stéphane Mari pour obtenir un geste en faveur du ravalement des façades dans le 3ème arrondissement, Marie-Arlette Carlotti, l’ex-ministre PS, désormais présidente du Haut comité au logement, annonce qu’elle ne votera aucune des « délibérations relatives à l’urbanisme car la confiance est rompue ». Le ton monte quand elle évoque « les journaux du matin ». En clair, Bousquet ! Et ça hurle sur les bancs de la majorité quand elle ose s’en prendre à son « héritière, Martine Vassal », « cumularde », « incapable de fédérer son propre camp ». Gaudin, taquin : « C’est parce que vous ne siégez plus à l’Assemblée nationale que l’on a droit à tant de méchancetés, de stupidités ? On n’est pas dans un meeting ! » Il appelle le chef de la droite au conseil municipal, Yves Moraine, à la rescousse : « Cela fait plusieurs séances que Mme Carlotti est insultante, diffamante. Aujourd’hui, elle a donné le visage de la haine. » Ravier rebondit : « Eh ! La haine, c’est moi, oh ! » Moraine taille un costard à « celle qui est la plus emblématique du PS vermoulu… » Personne pour la défendre : Samia Ghali, la sénatrice PS, est déjà sur le départ et Patrick Mennucci, le candidat socialiste déchu aux dernières municipales, n’est carrément pas venu.
10:20
Délibération à propos d’une école à la Belle de Mai qui se veut ouverte à l’expérimentation et à la rencontre avec les artistes. Jeanne Marti, du RN, espère que « ce ne sera pas pour des expositions pédo-pornographiques »…
10:30
Ravier rebondit sur une délibération relative à la réfection d’une église pour un tunnel contre la « christianophobie, la cathophobie », demandant une « caméra de vidéo-protection » pour empêcher qu’une statue du Christ ne soit « taguée ». Gaudin en profite pour faire de la pub à Vassal grâce à laquelle le Département vient de racheter une église qui tombait en ruine du côté d’Euromed. Une future Maison du bel âge ?
10:40
Coppola grimace face au projet de « cité internationale ». Gaudin, taquin : « Comme je vous l’ai déjà dit, ne “Mélenchon” pas tout ! » Et de railler l’élu communiste : « D’ordinaire, vous savez chanter les louanges de l’Internationale ! » Rires (de droite)…
10:45
Marti demande le retrait du rapport relatif à une rallonge en faveur du théâtre Toursky, parce que son patron, « l’anarchiste » Richard Martin, est candidat aux côtés de Lisette Narducci et de Bruno Gilles. La maire du 2/3 dégaine la réponse interminable de Martin. Gaudin, lui, maintient la rallonge, en rappelant qu’il n’est pas « le plus déshérité de la vie culturelle » – le Toursky touche un million de la ville de Marseille ! – et que l’« anarchiste » semble politiquement instable puisque capable de passer d’En Marche… à Bruno Gilles !
11:00
Si, entre Stéphane Mari et Richard Miron, adjoint au sport, c’est à fleurets mouchetés lorsqu’il s’agit de causer des piscines, quand l’écolo Lydia Frentzel demande des explications sur l’explosion de la facture des travaux de maintenance d’une salle omnisports, Gaudin s’agace : « L’explication, vous l’avez. Et si vous ne l’avez pas, ce n’est pas très grave… »
11:11
Pour son dernier conseil municipal, le maire a décidé de donner du boulot aux cartographes et aux GPS en rebaptisant une série de rues, en faisant la part belle à des figures féminines (mais aussi à une figure du syndicat majoritaire, Force Ouvrière). Pas du goût du frontiste Bernard Marandat qui a toujours en travers de la gorge le refus de voir distingué l’ancien patron du Méridional Gabriel Domenech alors que Gaudin honore une élue communiste ! Roland Cazzola, conseiller d’opposition socialiste, regrette de s’être fait retoquer pour une rue « Chichi frégi ». Gaudin en profite pour prodiguer une de ces leçons d’histoire dont il a le secret…
11:28
Délibération sur le tableau des effectifs. Ravier croit y lire « plus de 600 recrutements à moins de deux mois des élections » et espère que ce n’est pas « en fonction de la carte politique ou syndicale » ni de la « dernière affiche collée ». Réplique de Gaudin : « Ce n’est que la mise à jour des tableaux d’effectifs qu’a demandé la Chambre régionale des comptes. » Il ne peut s’empêcher de s’autoproclamer être « le maire qui a le plus fait pour le personnel municipal ».
11:32
Pendant que le futur-ex 1er adjoint Dominique Tian, condamné à 18 mois de prison avec sursis et 5 ans d’inéligibilité en cour d’appel « pour blanchiment de fraude fiscale » (il va en cassation), attaque les pages « sport » de La Provence, grosse passe d’armes sur un projet immobilier dans les quartiers nord sur lequel se font les crocs la frontiste Sandrine D’Angio, la socialiste Florence Masse et son ex-collègue Stéphane Mari. Gaudin fait feu de tout bois : « Vous voulez que rien ne bouge. A Marseille, il faut construire. C’est comme ça qu’on fait reculer le chômage. » L’heure du repas approchant, l’ordre du jour est liquidé au pas de charge.
12:00
Ultime discours de Gaudin : « La passion de Marseille et le goût de l’action, nous les partageons tous. Ce n’est pas un hasard si depuis vingt-cinq ans, plus de 30 000 rapports ont été votés, à l’unanimité pour 80 % d’entre eux. Ensemble, nous avons fait avancer Marseille et je suis fier de ce que nous avons réalisé. Le temps en sera le meilleur garant. Cette passion, entretenez-la. Elle est essentielle pour notre démocratie dans une période où il est de bon ton de passer les élus au scanner de toutes les suspicions. Cette passion, je l’ai en moi et ce n’est pas sans émotion que je l’évoque. Elle m’anime depuis toujours, bien avant même mon entrée comme benjamin de cette assemblée en 1965. Je mesure cette chance qui a été la mienne de la vivre en qualité de maire pendant vingt-cinq ans. En cet instant, j’éprouve l’honneur que les Marseillais m’ont fait en m’accordant, puis en me renouvelant par trois fois leur confiance. Nul ne peut arrêter l’horloge du temps. Elle sonne aujourd’hui pour moi l’heure du retrait. Elle ne marquera jamais la fin de cette passion pour laquelle j’aurai donné le meilleur de moi-même. Je souhaite à chacune et à chacun de vous réussite et bonheur pour les espérances que vous portez. Surtout, je souhaite bonne chance à Marseille. » Standing ovation.
12:04
Au tour de Payan qui attaque en force : « Sans liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. » Ainsi commence son hommage à celui dont il refuse de « faire le bilan. Ce n’est ni le lieu, ni le moment ». Et d’avouer : « J’ai eu la chance d’être votre opposant. » Pour résumer le parcours de celui dont « l’inclinaison pour le fait religieux n’est un secret pour personne », il file la métaphore, évoquant celui qui est « entré en politique comme on entre en religion ». Et à qui, à l’heure où « une page se tourne », il cite le « discours à la jeunesse » de Jaurès : « L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir. » Applaudissements même sur les rangs de la droite. Le RN, lui, s’abstient.
12:05
Ravier allait commencer son discours quand Frentzel, conseillère d’opposition EELV, se manifeste. Le frontiste lui cède la parole. Et la voilà à fustiger une dernière fois le bilan écologique du maire, provoquant l’exaspération généralisée : « Le conseil municipal est fini ! » Au tour de Jean-Marc Coppola qui dit la « fierté de s’être opposé » et qui profite de cet ultime discours pour s’en prendre au RN. Marandat, élu d’extrême droite, beugle : « Assassin, tais-toi ! »
12:20
Ravier, lui, fait dans la pagnolade : « Cela fait vingt-cinq ans que vous êtes le maire donc un peu le père des Marseillais. Je ne vais pas vous chanter les louanges de la gloire de mon maire et, alors que vous vous apprêtez à quitter ce perchoir qui est un peu le château de mon maire, le temps des secrets est terminé. » Et de dire qu’il a été le « témoin privilégié de l’action d’un monstre… Un monstre de drôlerie et de remarques acerbes, un monstre politique qui a dévoré ses enfants ». Et de l’interroger sur un épisode de la « campagne de 2014 où vous m’avez glissé dans la main quelques miettes de navettes lors de la traditionnelle bénédiction. Est-ce pour m’accorder une part du gâteau électoral ? Ou pour me faire comprendre que vous ne me laisserez que les miettes ? » Et de rendre hommage à celui qu’il dit « avoir découvert au Sénat. Un autre homme. Comme si Gaudin était resté à Marseille et que Jean-Claude était monté au Sénat. Loin des cerbères ». Et de lui demander de lui accorder « quelque soit le résultat de l’élection, une demi-journée. Vous me montrerez votre Marseille et moi le mien. Et je vous garantis que, quand vous reviendrez sur le Vieux-Port, les portes de votre bureau vous seront toujours ouvertes ». Applaudissements là aussi presque généralisés.
12:28
A Moraine de clore le bal pour rendre hommage à celui qui « incarne Marseille alors que je ne vous ai jamais vu boire un pastis, ni jouer aux boules ou aux cartes. Et dont la passion pour l’OM n’est venue que vers le tard ». Et de saluer celui qui a « tout donné, tout sacrifié » : « Vous avez encore beaucoup à donner et à transmettre. » Vassal écoute à peine. Bruno Gilles ne pipe mot. Standing ovation. Le maire se retourne vers sa garde rapprochée : « Vous qui êtes derrière moi, profitez… La séance est levée », dit-il en essuyant une larme.
12:30
La salle du conseil se vide. Dans le hall, Eléonore Bez, une proche de Ravier, confie à l’assistant de ce dernier : « Tu te rends compte que je ne l’ai jamais salué ?! »
12:48
le Ravi s’installe à la place du maire, avec vue imprenable sur son crâne, pour pouvoir écouter ses premières réactions devant une forêt de micros et de caméras.
12:55
Assis derrière un petit pupitre, le maire poursuit ses confidences, à la presse écrite cette fois. Histoires mille fois répétées des origines de la communauté urbaine et de la métropole. On prend congé.
13:00
À l’extérieur, Carlotti sourit en voyant les manifestants désigner « ex-aequo Jean-Claude Gaudin et Martine Vassal mister et miss Habitat Indigne ». Avec ce cri de guerre : « Hip, hip, hip, dégage ! »
De haut en bas, Jean-Claude Gaudin, Benoit Payan et Martine Vassal vus par Trax