« La rencontre est le moyen le plus efficace pour faciliter l’accès à la culture »
Soyons directs : comment ici, à La Garance, facilitez-vous l’accès pour tous à la culture ?
David Chauvet : Dans le préambule de la constitution, il est écrit que chaque citoyen a droit à un égal accès à l’éducation et à la culture. Voilà notre mission. Cela passe d’abord par la levée des barrières géographiques : il existe une scène nationale dans chaque département. Puis la diversité des spectacles programmés, du genre et des publics visés est également primordiale. Après, il y a ce qu’on appelle les médiateurs. Sur les 12 salariés de l’équipe, six travaillent à créer du lien entre les artistes et les publics. Ils vont aller à la rencontre des gens car la rencontre, c’est le moyen le plus efficace pour faciliter l’accès à la culture. Aller voir les gens, leur dire nous voilà, on fait ça, on trouve que c’est important de le montrer, c’est aussi pour vous. A moi ça me fait beaucoup de bien, donc j’ai envie aussi qu’à vous cela vous apporte des choses. On est là pour créer ce lien, montrer ce qu’on fait ici. Certains médiateurs travaillent plus sur le jeune public, d’autres sur ce qu’on appelle « le public éloigné » qui peut être des entreprises, des quartiers… Mais notre objectif, c’est de multiplier les liens pour faciliter l’accès à la culture.
Un autre moyen est la mise en place d’ateliers. Autour de la percussion par exemple cette année. Une quinzaine de personnes ont passé la porte du théâtre, ont vécu des choses ensemble, se sont appropriées le lieu. Tout cela s’est fini par un concert lors de la fête de la musique. Enfin, nous pratiquons aussi des tarifs spéciaux pour essayer de rendre accessibles à tous les spectacles : 3 euros pour les minimas sociaux et des invitations en partenariat avec l’association Cultures du cœur.
Comment et par qui sont faits les choix de programmation ? Et quelles sont les contraintes pour une scène nationale ?
D. C. : L’objectif de notre équipe et du directeur, Didier le Corre, c’est de sélectionner 35 spectacles par an, en lien avec la création contemporaine, c’est une des « obligations » d’une scène nationale. Tout comme celle de présenter des compagnies au moins nationales. Notre directeur a été nommé il y a un an et demi sur un projet détaillé. Il sélectionne les spectacles selon ses goûts et ses envies mais aussi par rapport à notre territoire à travers des danseurs contemporains locaux par exemple ou en choisissant de travailler avec le conservatoire de musique… Mais l’équipe du théâtre a aussi son mot à dire, elle est force de proposition.
Organisez-vous des événements pour présenter des cultures de pays différents ? Si oui, de quelle manière cela impacte la programmation ?
D. C. : Oui, c’est quelque chose de vraiment important pour nous. Nous voulons montrer que la rencontre et la vie ensemble sont possibles. En tout cas c’est le but. Le sous-titre du festival d’Avignon, c’est « je suis l’autre ». Cela veut dire aussi « Je suis là pour rencontrer une personne et découvrir ce qu’elle a à me dire ». Par le passé, on a par exemple accueilli un spectacle de cirque de Tanger, on a reçu des artistes palestiniens, israéliens, sud américains… Et l’année prochaine nous recevrons un auteur algérien, Kamel Daoud. Le théâtre est un lieu de rencontre et de l’être ensemble. Cette différence, ou diversité, est notre richesse. C’est pour cela qu’il est important d’avoir une programmation en conséquence. Nous sommes à Cavaillon, proches de la Méditerranée et je pense qu’il est intéressant de pouvoir montrer cette culture commune même si elle est issue de pays différents. C’est d’autant plus important selon moi à Cavaillon parce que c’est une ville, je ne dirais pas ghettoïsée, mais cloisonnée. Il faut casser les barrières. Pour moi, 45 % de voix pour le Front national à chaque élection (en fait le score de Thibaut de la Tocnaye lors des élections départementales, Ndlr) c’est intolérable. Rien que cela justifie notre travail et notre présence ici.
Vous avez accueilli pendant plusieurs mois un groupe de percussionnistes amateurs. Est-ce exceptionnel ou ouvrez-vous le théâtre régulièrement aux non professionnels ?
Ophélie Brisset : Tous les ans, on essaie de faire en sorte que la rencontre entre le spectacle vivant, ce lieu, cette équipe et le public se fasse par la présence d’amateurs dans un spectacle. On ne demande à personne d’être professionnel ! L’objectif est d’avoir au moins un projet participatif de ce type tous les ans pour permettre aux Cavaillonnais de découvrir une discipline, la pratiquer et se mélanger. Pierre Richard est par exemple venu animer des ateliers théâtre, que ce soit pour de la figuration ou une participation un peu plus active.
Ces ateliers sont-ils payants et est-ce que les personnes que vous voyez en stage reviennent ?
O. B. : Oui. Mais nous essayons d’adapter les tarifs. Le plus bas était de 25 euros pour 27 heures de stage de percussions. Donc même pas un euro de l’heure. Plein tarif, c’était 50 euros.
D. C. : C’est une vraie question… On a un budget, on ne peut pas faire de déficit, l’argent public ne peut pas tout couvrir. C’est pour cela qu’on demande une participation.
O. B. : En ce qui concerne les participants, généralement, ceux qui s’inscrivent rapidement en stage sont des habitués du théâtre. Ce n’est jamais gagné pour personne, c’est vrai, mais c’est pour cela qu’il est primordial d’entretenir le lien avec les publics.
Vous évoquiez en début d’interview l’article 13 du préambule de la constitution, repris par la suite dans l’article 27 de la déclaration universelle des droits de l’homme. Selon vous, ce principe est-il respecté presque 70 ans après ?
D. C. : Non, évidemment, c’est un idéal. Et comme tout idéal, c’est à questionner sans cesse, ce n’est jamais gagné. Ce qui nous manque, et c’est facile à dire, mais c’est surtout de la volonté politique et de l’argent, même s’il n’y en a jamais assez. On se sent parfois un peu seul… mais on ne se décourage pas !
Propos recueillis par le groupe de participants aux ateliers « Et si ? », à Cavaillon, animés par Clément Chassot