Amour et eau fraîche
« Joie de vivre : qualité environnementale de la commune et un peu plus. » Voilà comment nos experts statisticiens « pas pareils » ont décrit cette nouvelle catégorie du palmarès 2020 des villes à fuir. Quatre indicateurs la composent : les émissions de gaz à effets de serre (Ineris, 2007, pas de chiffres plus récents), l’évolution de la part de la voiture dans les déplacements domicile-travail entre 2013 et 2018 (Insee, 2019), la part de ménages propriétaires de deux voitures ou plus (Insee, 2019) et… le taux de natalité (plus il est élevé, plus le cadre de vie est considéré comme favorable, Insee 2019).
Carence fautive
Dans la catégorie « joie de vivre » (qui mesure la qualité de vie avec des critères environnementaux), c’est la communiste Martigues qui gagne notre palmarès des villes à fuir. Un résultat malheureusement peu étonnant pour cette ville-centre de l’étang de Berre, trustée par la pétrochimie et ses rejets polluants, ce qui en fait la ville avec le plus d’émissions de gaz à effets de serre (suivie par Marseille et Nice). Plus du tiers des habitants ont deux voitures ou plus et on utilise de plus en plus la bagnole pour aller travailler (0,9 %, une tendance qu’on retrouve beaucoup dans les villes moyennes). Enfin le taux de natalité, 11,6 pour mille, est dans la moyenne.
Daniel Moutet est président de l’association de défense de protection du littoral du golfe de Fos (ADPLGF), qui se bat contre la pollution industrielle et ses conséquences sur la santé. Il n’est pas surpris du résultat mais confirme « un déclic, une prise de conscience » depuis près de trois ans avec la sortie de plusieurs études, dont celle Fos-Epseal en 2017 (menée à Fos-sur-Mer et Port-Saint Louis du Rhône) qui met en avant un taux de cancers plus important qu’ailleurs. « Ce n’est pas qu’une ville qui est polluée, c’est tout le pourtour de l’étang de Berre. […] Il est très compliqué de faire bouger les élus là-dessus et l’Etat n’est pas du tout à la hauteur », estime-t-il. L’association va d’ailleurs porter plainte contre l’Etat en janvier pour « carence fautive ». Une autre plainte contre X pour « mise en danger d’autrui » est toujours en cours d’instruction…
« L’industrie, c’est aussi ce qui permet de manger ! »
La militante d’Alternatiba Martigues Catherine Bonafé constate aussi peu à peu un changement de mentalité « Nous avons par exemple rencontré avec Les Amis de la Terre des syndicalistes CGT de l’usine Total la Mède, c’était impensable auparavant ! Le logiciel commence à changer. » Avec ce paradoxe : on vit très bien à Martigues, une ville devenue riche grâce à l’industrie : « y a pas à tortiller, c’est une ville très agréable, avec beaucoup d’équipements culturels, sportifs et sociaux. Et puis les gens sont très attachés au coin, l’industrie c’est aussi ce qui permet de manger. » La journaliste Sigolène Vinson, autrice de Maritima, a choisi de s’installer à Martigues « parce que je voulais vivre dans une ville communiste au bord de la mer ! » Elle apprécie le côté sauvage, terrestre et maritime, que recèle la zone. « Ce qui me gêne le plus ce sont les odeurs. Mais je fais l’autruche, tant que je ne vois pas les usines… »
Marseille, jardin d’Eden
À l’autre extrémité de ce classement : Marseille ! Si les émissions de gaz à effet de serre sont très importantes, notamment à cause de la pollution maritime, la ville se classe très bien sur les trois autres indicateurs. Plutôt en contradiction avec la réputation de la ville, polluée, embouteillée, confinée et bétonnée. Le mois dernier, Réseau action climat France, Greenpeace France et Unicef France ont publié un rapport qui classe Marseille comme la ville faisant le moins d’efforts pour lutter contre la pollution de l’air… Pas assez n’est fait pour lutter contre les véhicules polluants, l’offre de transports en commun est trop faible et la place de la bagnole trop importante.
« Marseille est déjà très en retard mais on continue dans la même voie !, explique Cyril Pimentel, directeur de l’association Vélos en ville. En fait, s’il est toujours aussi simple d’utiliser sa voiture en ville, vous aurez beau avoir toutes les pistes cyclables du monde ou les transports gratuits, ça ne changera rien. Le Plan de déplacement urbain prévoit une baisse des places de stationnement de 20 % mais dans les faits, rien n’est réalisé. » Sans compter d’être la risée des réseaux sociaux quand des pistes cyclables débouchent directement sur des poubelles…
Pour les écologistes, avec une liste autonome aux élections municipales, la mesure phare contre la voiture est la mise en place de zones à trafic limité, « sur le modèle italien », à l’échelle de quartiers où seuls habitants, commerçants, personnes handicapés peuvent circuler. Avec un contrôle effectué grâce… à des caméras de vidéosurveillance ! En proposant le développement en parallèle d’un « RER métropolitain », de l’agriculture urbaine mais aussi la déminéralisation de la ville « pour la faire respirer » grâce à de « micro forêts »… Le tout en reconnaissant à Marseille un cadre de vie unique qu’il « ne faudrait pas rendre insipide », avec un centre « populaire, bouillant, une certaine poésie urbaine ». Dernière petite information pour les curieux : la ville où on fait le plus de bébés se trouve en Vaucluse, à Avignon…