Les quartiers Nord face aux trafics
La cité de la Busserine, au nord de Marseille (14e), est calme ce matin. Le silence est parfois brisé par le bourdonnement des travaux de réhabilitation du quartier. Les paraboles, juchées sur les balcons aux volets fermés des tours, pointent le soleil écrasant du mois de juin. En bas de l’un des bâtiments, surplombant la rue, un canapé vomit sa mousse. Il semble surveiller le passage, comme seul témoin du trafic qui s’est installé dans la cité.
« Ce n’est pas dans tous les quartiers que ça se passe aussi bien. Les jeunes ne bloquent pas les cages d’escaliers, ils sont respectueux », explique Yamina, habitante de la Busserine. « Ici, c’est plutôt calme 90 % du temps », confirme Sébastien Fournier, enseignant à l’école primaire du quartier. Mais les 10 % restant, la Busserine n’échappe pas aux règlements de comptes – le dernier datant du 2 juin. « Les enfants sont souvent témoins de cette violence, reprend l’instituteur qui a déjà perdu un ancien élève dans un règlement de compte. Ils ont peur. Il faut privilégier la discussion, qu’ils racontent ce qu’ils voient. Et leur donner les outils pour ne pas devenir victime ou bourreau. »
Eviter la ghettoïsation
« Les meurtres, c’est choquant et alarmant. Mais le plus gros sentiment d’insécurité, c’est celui de l’insécurité morale des parents qui voient leurs enfants dans les réseaux », explique Sofiane Majéri, président de l’association culturelle des quartiers défavorisés, Champ contre champ. Cette angoisse, Céline Burgos, habitante, l’a vécue pendant trois ans. « Mon fils aîné a travaillé pour le réseau quand il avait quinze ans », raconte cette mère de six enfants. Pour l’en sortir, elle a tout essayé. « J’ai déposé des plaintes, des mains courantes… Je me suis faite renvoyer à chaque fois », explique-t-elle. Lassée de la démission des pouvoirs publics, Céline décide alors d’aller se confronter directement à ceux qui retiennent son fils. « J’étais prête à tout. Je préférais qu’il soit en taule plutôt que de le retrouver un jour avec une balle dans la tête. » Un conflit qui lui a valu des représailles violentes : incendie dans sa cuisine, menaces de mort et même une balle à blanc dans le genou. « Le but était de me faire déménager pour que je n’ai plus contact avec mon fils. Mais ça m’a donné encore plus envie de rester dans mon quartier. C’est mon rôle de maman d’être responsable et pas démissionnaire. » Au bout de trois ans d’intimidations, elle réussit à faire sortir son fils du réseau.
Aujourd’hui, Céline Burgos fait partie d’ « Habitants à l’épreuve des réseaux », constitué en majorité de mères de famille, intégrée au groupe de réflexion, créé par l’Association départementale pour le développement des actions de prévention (Addap 13), « Questions de réseaux ». « On y apporte notre vécu comme expertise, on cherche des solutions pour agir avec les travailleurs sociaux, on essaie de bouger pour que les enfants ne se sentent pas ghettoïsés. »
48 % de chômage
Pour les acteurs du quartier, il faut faire attention, toute la cité n’est pas en lien avec le trafic et la plupart des jeunes font ça de manière transitoire. « Ce n’est pas aussi simple qu’être ou non dans le réseau, c’est beaucoup plus flou que ça », nuance Sébastien Fournier, l’instituteur. Une petite minorité gagnerait vraiment de l’argent. « Pour les jeunes, c’est une situation précaire. Mais ils font ça quand ils ont besoin d’un peu de sous, comme quand on va travailler à MacDo. Avec les risques en plus ! »
Et si l’enseignant croise parfois des anciens élèves qui « avaient des capacités à l’école » en train d’errer en bas des tours, c’est qu’à la Busserine, le chômage touche 48 % de la population selon les chiffres officiels. Le trafic est une conséquence de ce manque de perspectives. « Les petits voient leurs parents travailler et avoir du mal à boucler les fins de mois, leurs grands frères étudier et ne pas trouver de boulot et ceux qui réussissent partent du quartier, précise Sofiane Majeri. Les seuls qui montrent des signes de richesse, ce sont les dealers. Ça devient l’unique image de »réussite »… »
Encore plus que cette démotivation et ce sentiment d’« aller à l’école pour rien », le chemin vers l’emploi est aussi un « problème psychologique ». « Avec le réseau, les jeunes restent dans la cité. Alors quand il faut sortir pour aller à Pôle Emploi, à un entretien d’embauche et qu’il faut faire un effort sur les vêtements, le savoir-être et le langage, il y a une certaine appréhension. Ils vont se confronter à un autre public et ça peut faire peur », poursuit Sofiane Majeri. Pour lui, seule une action globale de l’Etat pourrait être efficace pour lutter contre ce trafic de drogue. « Il faut miser sur la formation, le logement, l’emploi car la pauvreté et l’exclusion tuent aussi… »
Pauline Pidoux