La peur : une nouvelle denrée médiatique et politique
Les Nouveaux chiens de Garde était une critique acerbe de la non-indépendance des médias. Pour votre nouveau documentaire, Cas d’école, vous avez choisi de vous appuyer sur un fait divers qui, médiatiquement, a dégénéré. Pourquoi ce choix ?
Tout à commencé avec une amie professeur dans un collège à Lens (Pas-de-Calais) qui avait fait partie du groupe à avoir travaillé sur Les Nouveaux Chiens de Garde. Un jour elle m’appelle pour me dire « je vis dans la pratique de ce que nous dénoncions, une collégienne de 12 ans s’est suicidée, les journalistes font le pied de grue devant les grilles, ils harcèlent les élèves et mettent en cause le collège et les professeurs, c’est un tsunami médiatique ».
Un an après, les journalistes remettaient de l’huile sur le feu avec des sujets sur le harcèlement à l’école et, quelques mois plus tard, avec la diffusion d’un pseudo-documentaire à charge. On aurait pu penser, puisque c’était un documentaire, qu’ils auraient fait une enquête, mais ce n’était que de la mise en scène obscène. J’ai alors rencontré un groupe de profs syndiqués du collège qui se battaient vraiment pour les gamins dans un coin très touché par les problèmes sociaux.
Le but était de déconstruire le travail des journalistes, en analysant les images avec un sociologue des médias, afin d’essayer de comprendre ce qui a mal tourné. Voila la genèse de l’histoire.
Qu’en est-il selon vous de la liberté de la presse dans ce genre de situation ?
La liberté de la presse oui, mais pas n’importe comment. Il y a deux pans de réflexion.
D’abord celle sur les pratiques de base des journalistes et l’accélération des mauvaises qui deviennent détestables. Les interviews sont faites n’importe comment, les sujet sont traités à la va-vite, tout cela s’inscrivant dans une logique capitaliste du traitement de l’information, course à l’audience et concurrence des médias.
Le deuxième axe est que les médias ne sont pas là pour ouvrir le débat mais pour trancher entre le bien (l’émotion) et le mal (les institutions), cette vision binaire crée une mauvaise information qui nuit à l’environnement. Or ici on est face à une population en détresse morale et sociale qui a été massacrée par le capitalisme. En prenant le prétexte d’un fait divers, on cristallise les tensions sociales et on lève les différentes catégories de populations les unes contres les autres, favorisant ainsi la gestion politique de l’émotion faisant le jeu du FN.
Cas d’école pose en particulier une question : « la peur est-elle devenue une denrée médiatique et politique ? »
Qui fait l’œuf et qui fait la poule ? Le harcèlement à l’école est devenu le nouveau produit à la mode. Chatel, Peillon, Vallaud-Belkacem, tous les ministres de l’éducation successifs s’en servent comme cheval de bataille de leur mandat nous promettant de régler le problème. Mais est-ce que la première préoccupation des collégiens c’est le harcèlement à l’école ou c’est la misère sociale dans laquelle ils ont baigné toute leur vie ? Entre être au RSA, ne pas avoir de travail ni d’avenir et la violence à l’école, qu’est ce qui est le plus destructeur pour eux ?
C’est un écran de fumée. On absorbe la réalité sociale d’un pays qui est de plus en plus violente en faisant diversion par la peur. Ce n’est pas un hasard si la thématique de la peur est régulièrement mise en avant. C’est un moyen de formatage, un leurre. Les faits divers sont là pour faire diversion, comme disait Bourdieu.
Quel regard portez vous plus généralement sur les médias ?
Je suis pour la presse tout court. A l’heure actuelle, Le Figaro, Le Parisien, Libération, Le Monde (…) appartiennent tous aux plus grandes fortunes françaises. J’espère que dans 50 ans on regardera cela comme une pratique d’un autre monde. Nous ne sommes pas en Corée du Nord, mais si cela continue on va le devenir !
En 1944, il y avait eu une réflexion du conseil de la résistance afin de faire de l’information un bien public. L’objectif à l’époque, n’était pas forcement de créer un service public, mais plutôt une structure pluraliste payée par les impôts, c’était une bonne idée ! Depuis cela n’a pas été fait or on a besoin de diversité, surtout dans les médias !
Si Le Figaro existe cela ne me dérange pas dans la mesure où il faut que le Ravi puisse exister aussi. Il faudrait que l’engagement des citoyens se fassent sentir dans ce sens. Avec les AMAP on surveille ce que l’on mange, il faudrait maintenant surveiller ce que l’on lit !
Des médias alternatifs et indépendants sont-ils possibles ?
Après le succès des Nouveaux Chiens de Garde, avec l’association NADA (« Nous avons des armes ») l’idée était de faire des films de manière participative pour pérenniser économiquement le documentaire dans sa production plutôt que de le faire de manière consumériste.
En s’inspirant du modèle des AMAP, on a crée les AMIP (Association pour le maintien de l’information progressiste) afin de proposer de l’information « bio », sans aucune trace de libéralisme ni de publicité, sans collusions ni connivences, fabriquée par des journalistes professionnels élevés en liberté, entièrement nourris à l’investigation, attentifs à la maturation complète de leurs enquêtes.
Nous proposons donc « des paniers d’aliments documentaires » en pré-achat afin d’assurer l’équilibre et l’indépendance de nos productions.
Que pensez-vous du Ravi ?
Je n’ai pas l’occasion de le lire souvent mais vous faites un travail important et salutaire, sans vouloir vous lécher les bottes. Car on a de moins en moins de force de frappe, surtout contre les gros médias. C’est un peu essayer de se battre « frondes contre rafales ». Le danger c’est de ne s’adresser qu’a une minorité de personnes, cela nécessite alors d’élargir. Mais je suis confiant. Même si la période n’est pas facile, des fois il y a des prises de conscience. Cela ne se traduit peut être pas encore mais ça va venir, j’en suis sur !
Propos recueillis par Isabelle Rolin
Projection-débat de Cas d’école de Gilles Balbastre En présence de Gilles Balbastre Mardi 22 septembre 19 heures Maison de la Région 61 La Canebière 13001 Marseille
Les Amis du Monde diplomatique, le Ravi, La Marseillaise, Attac Marseille, Les Amis de l’Humanité, Snes/Fsu, Fsu 13, Cgt éduc’action 13 et Solidaires 13, vous invitent à la projection de Cas d’école, le nouveau film de de Gilles Balbastre, réalisateur de Les nouveaux chiens de garde et collaborateur du Monde diplomatique…
La projection sera suivie d’un débat avec l’auteur.
Ce film prend pour point de départ un fait-divers touchant des personnels de l’Éducation nationale. En janvier 2012, le suicide d’une élève scolarisée dans un collège de Lens (62) classé en éducation prioritaire est instantanément érigé par la presse en exemple typique du « phénomène » de harcèlement scolaire. Dès lors, les journalistes, s’appuyant sur l’indispensable figure de l’« expert », enfilent la tenue de preux chevaliers désintéressés et exigent des explications. Ou plutôt des aveux. Et débobinent un scénario usé jusqu’à la corde, fait de titres sanguinolents, de déclarations à l’emporte-pièce, de propos mensongers.
C’est aux principaux intéressés, les personnels de cet établissement, que nous avons proposé de déconstruire le rôle joué par la presse à cette occasion. Ils réagissent à leur mise en accusation dans ce drame et évoquent les effets destructeurs du traitement médiatique sur leur mission de service public, et sur l’image des enseignants. Ainsi, à la figure classique de l’enseignant-fonctionnaire corporatiste et arc-bouté sur ses acquis, les médias greffent celle d’un pédagogue irresponsable et coupable de négligence. En élargissant le champ au contexte économique et social – sans cesse occulté -, en rendant au collège une épaisseur historique, « Un cas d’école » reconstruit une autre histoire que celle racontée par les journalistes…