« La dépénalisation, elle existe déjà »
En tant qu’ancien policier, quel regard porteriez-vous sur une dépénalisation voire une légalisation du cannabis ?
Il y a une véritable hypocrisie parce qu’aujourd’hui, la dépénalisation du cannabis, elle existe déjà dans les faits. De nos jours, un petit consommateur de shit, qui s’est fait arrêter avec une ou deux barrettes dans la poche, ne sera jamais inquiété par la justice. Tout simplement parce que les tribunaux ont autre chose à faire !
Et la police ?
Evidemment ! Bien entendu, en tant que père de famille, je ne peux qu’être réticent à l’idée qu’une nouvelle drogue, vu les dégâts que provoquent celles qui existent déjà, soit légalisée. Surtout quand je vois le nombre de pastis que les gens sont capables de s’enfiler… Après, au vu de l’échec de la lutte contre les trafics et celui de la guerre à la drogue, vu le retard que la France a pris dans ce domaine, je me dis qu’on n’a pas d’autre choix, au minimum, que de dépénaliser. Voire de légaliser. Même si cela ne va pas sans poser questions.
Lesquelles ?
Il faut avoir conscience des conséquences d’une telle décision. Le trafic de cannabis a engendré une véritable économie parallèle dans certains quartiers. Que feront les gens si on leur retire ce business ? Je me souviens encore de ce bailleur social qui nous expliquait qu’à chaque fois que la police faisait tomber un réseau, pendant plusieurs mois, les loyers n’étaient plus payés. C’est par hypocrisie qu’on a laissé proliférer ces trafics, avec leur lot de violence, de rivalités, de règlements de compte. La vérité, c’est que ça arrange tout le monde. Alors si on légalise le cannabis sans rien prévoir pour les quartiers populaires, cela ne sera pas sans conséquences. Parce qu’on le voit, les week-ends, dans les centres commerciaux : les gens qui vivent de ces trafics, qui payent leurs achats en billets de vingt euros, ces gens-là consomment ! Mais il faut regarder aussi au-delà de Marseille, de notre région…
C’est-à-dire ?
Le cannabis, ce n’est pas qu’un problème franco-français. C’est une question internationale. Tout simplement parce qu’il vient principalement du Maroc. Si la France décide de légaliser le cannabis et de produire principalement sur son territoire, cela ne sera pas sans conséquence avec les pays de l’autre côté de la Méditerranée.
Et quelles conséquences pour la police ?
C’est peut-être là le nœud du problème. Si on légalisait le cannabis, dans l’idéal, cela devrait permettre à la police de travailler sur des choses plus importantes. Mais, en faisant cela, on va priver la police de ce qui est aujourd’hui la source intarissable de la politique du chiffre. Or, aujourd’hui, la police ne fonctionne que comme ça. Arrêter un petit « shiteux » dans la rue que l’on ramasse avec sa crotte de nez dans la poche, c’est ce qu’il y a de plus simple pour un flic qui veut être bien vu par sa hiérarchie, ou en tout cas, remplir ses objectifs statistiques. Sauf que les policiers sont les premiers à reconnaître qu’en faisant ça, ils font de la merde. Non seulement, ça ne règle en rien les problèmes de trafic ou de consommation. Mais en plus, cela ne peut que dégrader les relations entre les jeunes et la police. Parce que, là aussi, il faut arrêter de se voiler la face : il y a une inégalité face à la répression. Entre le jeune obligé d’aller se fournir dans une cité et que l’on cueille à la sortie et ceux qui ont les moyens de se faire livrer à domicile. Mais aussi entre les grandes villes où la justice est suffisamment encombrée pour ne pas s’ennuyer avec ces affaires et les zones rurales où il arrive encore que les tribunaux sanctionnent des consommateurs.
A la veille du 18 juin, l’association Asud (Auto-support des usagers de drogues) vous a invité, ainsi que la sénatrice EELV Esther Benbassa, pour discuter de la question. Vous pensez que les choses sont en train de bouger ?
Vous savez, les flics, sur le terrain, c’est un peu comme les instituteurs ou les infirmières. Ce sont des éclaireurs. Quand j’ai débuté, déjà à l’époque, on alertait en disant qu’avec le cannabis, il y allait y avoir des problèmes. De fait, ce sujet, c’est une véritable patate chaude. Pourtant, ce sont les politiques, ceux-là même qui s’offusquent à chaque règlement de compte, qui ont toutes les clés en main. Le problème, c’est qu’avec les élections, il ne faut jamais, jamais faire de vagues…
Entretien réalisé par Sébastien Boistel
En savoir plus : Marc Lamola a notamment publié, chez Michalon, « Le sale boulot », « Un Mauvais flic ». Il vient de publier aux éditions Fauve, « Quand j’étais flic ».