Et la culture, bordel ?!
La culture, c’est « ce qui reste quand on a tout oublié ». Aux municipales, c’est souvent ce qui passe à la trappe ! Sauf à être dans le patrimonial (en atteste à Marseille la spectaculaire bannière sur l’église, en réfection, des Réformés), ou quand ça pète (le feu d’artifice qui a clôt la « capitale de la gastronomie ») ou que ça sent le people et le sapin, comme Natasha St-Pierre et les petits chanteurs à la Croix de Bois.
Alors que le Printemps marseillais a organisé en décembre sa réunion « culture », les États généraux planchent sur ce thème depuis l’été. Comme l’écrivaine Valérie Manteau : « La place de la culture dans la campagne ? Ça va aller vite ! C’est tout sauf une thématique prioritaire. Je fréquente théâtres, musées, et les politiques, je ne les croise jamais. »
Méfi lorsque la Région veut se substituer au ministère sur la Culture : « Muselier n’a jamais dit quoi que ce soit d’intéressant sur le sujet. Et je me souviens des structures lâchées par la Région quand elle a basculé à droite. » Et la lauréate du Renaudot 2018 fustige au passage les labels : « J’ai dû refuser plusieurs fois de travailler sur la gastronomie ! L’année des effondrements de la rue d’Aubagne, des gilets jaunes, c’est presque obscène. » Mais elle comprend les « structures qui n’ont pas le choix ». Ou la « frilosité des acteurs. Car on est vite marqué. Et la sanction immédiate ».
Ça n’a pas empêché la grève de la faim de Richard Martin, le patron du Toursky, lui permettant de maintenir son théâtre parmi les structures les plus aidées de Marseille. Un établissement qui, après les gilets jaunes, Étienne Chouard et François Ruffin, a accueilli le Printemps républicain, des proches de Valls pour un débat avec la députée LREM Alexandra Louis ou le maire PS de Miramas.
« Une élection c’est aussi un récit »
A la Belle de Mai, le Comptoir de la Victorine, lui, continue de prendre l’eau. Autant les locaux frappés par l’incendie de 2018 que l’aile où logent les Têtes de l’Art, Les pas perdus… Et ce, malgré les 400 000 euros de travaux votés par la ville, l’élu au patrimoine Robert Assante assurant qu’« il n’y a plus d’obstacle pour qu’ils démarrent ».
Emmanuelle Gourvitch fulmine : « Nous, ce qu’on craint, c’est se prendre le plafond sur la tête ! Lors des dernières grosses pluies, quelqu’un de la mairie est venu et, en voyant les locaux, il a demandé qui était le propriétaire… » Même si le Syndicat national des arts vivants (Synavi) qu’elle préside vient de sortir une plate-forme d’interpellation pour les municipales, elle soupire : « La culture a-t-elle jamais été au cœur d’une élection ? Dans une campagne, ce qui importe, c’est faire élire une liste, pas les débats. Et quand il y en a, c’est souvent entre initiés. De toute manière, l’approche est plus individuelle que collective. Pour ne pas dire clientéliste. »
Confirmation de l’écolo marseillais Sébastien Barles après une rencontre avec les acteurs culturels : « Alors qu’il faudrait que la culture soit transversale, pour eux, depuis que Gaudin est en place, il n’y a plus de politique en la matière. Ce qui a permis à certains de tirer leur épingle du jeu. Au point que l’arrivée de Martine Vassal et son approche patrimoniale, régionaliste est redoutée. »
Lors du dernier festival d’Avignon (84), le Syndicat des entreprises artistiques et culturelles a organisé un débat sur « la culture dans les municipales ». Une thématique sur laquelle le Syndeac va revenir à la charge car, constate Pierre Sauvageot, « c’est souvent le parent pauvre. Pourtant, une élection, c’est aussi un récit. Donc de la culture. Et c’est une des dernières compétences sur laquelle le maire a la main. On va donc interpeller élus et candidats. Pour discuter de la place de la culture (tant en matière d’événementiel que d’équipement pérenne) mais aussi des politiques. »
En attendant, à Arles, d’après le candidat (ex-PS) David Grzyb, « pour l’heure, il n’y a pas de débat sur quoi que ce soit, à par sur les personnes. C’est désespérant. Parce que, justement, Arles est une ville de culture qui bénéficie d’une aura qu’elle n’aurait pas sans cela et s’appuyer sur cet atout devrait être notre priorité. Mais aussi lutter contre la fracture entre ceux qui sont dans cette dynamique et les autres. Car aujourd’hui, cette fracture, elle est béante. Et le FN à nos portes. »
À Aix-en-Provence aussi, Hervé Guerrera, du Partit Occitan, fait grise mine : « On est dans une ville qui vit sur sa notoriété. Depuis que Sophie Joissains a abandonné sa délégation, il n’y a plus d’élu à la culture. Et de gros manques : pas de musée antique, un patrimoine cézannien insuffisamment mis en valeur, des problèmes d’accessibilité… Et dans la campagne, certes, il y a des urgences environnementales, sociales mais la culture est loin d’être brandie comme un étendard. »
Dans les Hautes-Alpes, Laurent Eyraud-Chaume, de la compagnie Le pas de l’oiseau, est partagé : « On a la chance d’avoir le soutien de la ville de Veynes pour développer nos projets. Mais, plus largement, on voit chez certains élus une crainte, notamment à l’égard du monde associatif. Avec, parfois, une “municipalisation” de la culture, ce qui conduit à une extrême prudence dans la programmation. Alors, pour les acteurs culturels, les municipales, c’est un temps un peu bizarre, d’attente, d’inquiétude. Sans parler des discours assez négatifs. Certains allant jusqu’à dire : “Regardez, on aide le théâtre mais pas les Restos du Cœur”… »
De fait, la culture, c’est aussi une histoire de gros sous. D’où les premières réflexions pour l’organisation d’un « Off » à Manifesta, biennale d’art contemporain qui, avec plusieurs millions d’aides publiques et un pied-à-terre sur la Canebière, va se dérouler cette année à Marseille. Une ville où ce slogan résonne particulièrement : « Pour savoir si vous êtes en enfer, demandez à l’artiste. S’il n’est plus là, c’est que vous y êtes déjà. »