Total « greenwashe » à la Mède
La France n’a toujours pas de pétrole mais a-t-elle encore de bonnes idées ? En mars dernier, le pétrolier français Total annonçait la reconversion de la raffinerie de La Mède, sur la commune de Châteauneuf-les-Martigues (13), en usine de biodiesel, « l’une des plus grandes bio-raffineries d’Europe ». 200 millions d’euros d’investissements pour une production de 500 000 tonnes à partir de 2017. Le plan social prévoit la suppression de 178 salariés sur les 430 que compte aujourd’hui le site. Sans compter les emplois indirects, environ 2 000. Des négociations entre syndicats et direction ont commencé, notamment sur les mesures sociales d’accompagnement. La France comptait douze raffineries il y a six ans, il n’y en aura plus que sept après la reconversion de la Mède qui perd environ 150 millions d’euros par an selon Total (1).
« 200 millions d’euros, ça peut paraître énorme mais dans ce secteur, ce n’est pas grand-chose. Ce projet on n’y croit pas et il est déjà obsolète », tance Julien Granato, délégué CGT à la Mède. Obsolète le biodiesel ? Tout dépend duquel. Ce qu’on appelle biodiesel de 1ère génération, très critiqué, est fabriqué à partir d’huile végétale (colza, palme, tournesol). La 2ème génération est plus écolo, faite à partir de déchets organiques comme de l’huile alimentaire usagée (HAU). Enfin la 3ème génération, pas encore totalement au point, est issue de la transformation d’une algue.
Huile de palme
A la Mède, si le plan de production et l’approvisionnement ne sont pas encore totalement établis, il semblerait que le site s’oriente surtout vers la 1ère génération. « On nous dit que c’est déjà dépassé », commente Julien Granato. Les syndicalistes sont écœurés par la stratégie du groupe qui consiste à raffiner là où les normes sociales et environnementales sont beaucoup plus faibles, comme en Inde ou au Moyen-Orient. Et le simple fait de licencier alors que Total a fait 12 milliards de bénéfice en 2014 ne passe pas.
« On veut croire à ce projet pour sauver nos emplois, espère Jean-Michel Maton, délégué de la CFDT à la Mède. Nous avons pourtant de gros doutes sur la viabilité de la 1ère génération. Nous n’avons pas encore de réponses sur l’approvisionnement. Mais c’est un secteur qui a de l’avenir. » Le biodiesel est en effet incorporé au diesel classique avant d’être tiré à la pompe. A hauteur de 7 % aujourd’hui. 10 % en 2022 selon une directive européenne. Ce taux devait être celui d’aujourd’hui mais l’Europe a freiné des quatre fers, critiquant le trust de la 1ère génération sur les terres agricoles.
« Total a l’ambition d’investir dans les énergies renouvelables qui vont prendre une part de plus en plus grande dans le mix énergétique mondial », lâchait en avril dernier Patrick Pouyanné, directeur général de Total. La firme veut donc devenir un peu plus verte… mais sûrement pas si ce n’est pas rentable. Ce qui devrait selon toute vraisemblance pousser l’entreprise à importer massivement de l’huile de palme, dont on connaît les bienfaits sur l’environnement et la déforestation en Asie, 25 % moins cher : les producteurs d’huile de colza craignent une compétition féroce et une baisse des prix avec une possible baisse de surface de 400 000 hectares.
Conquistadors
Les turbulences sur le marché du biodesel seraient également très fortes avec l’arrivée d’un géant comme celui-ci. Le syndicat des esterificateurs français (qui produisent du biodiesel) s’est récemment répandu dans la presse en rappelant que la filière était fragile et sortait d’une phase de restructuration. Et les « gros » pourraient, pour une fois, trinquer. « Je ne préfère pas commenter pour l’instant », glisse seulement Bruno Delavenne, directeur d’une usine de biodiesel, filiale de Veolia, en région parisienne. Total fait peur.
Son projet est le symbole de l’industrie à la papa. Un gros machin, bien centralisé. « Il était évident que nos raffineries allaient fermer », commente le député écologiste de Gardanne François-Michel Lambert. Mais le comportement très paternaliste de Total n’est pas acceptable. On arrive comme ça en conquistador, avec 200 millions d’euros en disant "vous inquiétez pas je m’occupe de tout". Il n’y a aucun esprit de concertation, pas de contacts avec les acteurs locaux. Le député prend en exemple l’italien Eni qui porte un projet de bio-raffinerie en Sardaigne avec comme matière première du chardon de colza local.
Enfin, si Total fait de la deuxième génération en récupérant de l’huile usagée, il y aura deux ou trois choses à éclaircir : « Je crois qu’ils tablent sur 30 % de leur production avec des HAU. 30 % de 500 000 tonnes c’est environ le gisement français de HAU. Comment feront-ils pour tout collecter ? », s’interroge Alain Vigier. Fondateur d’Oléo déclic, une structure marseillaise qui collecte environ 20 000 tonnes d’huile par an pour en faire un combustible de chauffage, celui-ci défend une approche en circuit-court de la gestion des déchets : « Complètement l’inverse de ce que veut faire Total. »
Clément Chassot
1. Total n’a pas souhaité répondre au Ravi.