L’Huveaune et des hommes
« Quand ta hiérarchie en stage te dit »ne réfléchis pas » après 5 ans d’études, ça ne passe pas », lance Grégoire Bouvenot. « Attention, on n’est pas des méchants… », tempère aussitôt Aurélien Sausy. « Ni des révolutionnaires ! », ajoute Antoine Bennahmias. Ils sont simplement de jeunes urbanistes ou paysagistes qui ne veulent pas sacrifier leur éthique sur l’hôtel du marché du travail. Ils ont créé, avec d’autres, le collectif Les clés de la cité pour explorer des pratiques basées sur la co-construction et la démocratie directe.
Début 2015, l’association répond à un appel à projet du ministère du Développement durable. Leur objectif : mettre en place un plan de paysage pour la vallée de l’Huveaune. Autrement dit, un document de prise en compte du paysage, pour sa protection, sa gestion et son aménagement. Un outil au rôle consultatif et d’appui pour les politiques publiques. En clair : 30 000 € à la clé s’ils sont retenus.
« On veut travailler, sur un paysage urbain, sur la question de la reconnexion de la nature à la ville », expliquent les anciens étudiants de l’école d’urbanisme d’Aix-en-Provence (IUAR). Le choix de l’Huveaune, le fleuve qui coule du massif de la Sainte-Baume jusqu’à Marseille, s’impose alors comme une évidence tant les problématiques s’y superposent. C’est un territoire d’abord agricole et fertile, industrialisé au XIXe siècle, urbanisé au XXe, et désormais pollué. Aujourd’hui, la vallée est un puzzle mal assemblé de friches industrielles, de zones commerciales, de terres agricoles mitées. Alors il est temps de penser global et tourner la page du déversoir des eaux usées et industrielles.
Les élus gardent la main
« Pour définir notre plan de paysage, on veut être pratico-pratique, faire avec l’existant », explique Aurélien Sausy. Notamment avec le riche milieu associatif mobilisé « pour sauver le fleuve, le rendre humain », expose Claude Carbonnell, l’animateur du Collectif associations Huveaune qui regroupe 14 structures. Des envies qui collent avec la philosophie des Clés de la cité. En juin, ils vont participer à la fête de l’Huveaune en proposant une carte géante du territoire vécu. Pour que chaque personne vienne témoigner de son histoire personnelle avec le fleuve. « Créer de la pensée commune », souligne Grégoire.
Mais le chemin est encore long. Le projet du collectif n’a pas été sélectionné par le ministère. Les urbanistes ingénus candidateront donc à nouveau l’an prochain. Grâce à leur rencontre avec le syndicat intercommunal du bassin versant de l’Huveaune (SIBVH), ils ont approché des politiques. Car à la fin du match, c’est toujours les élus qui auront la main pour donner les moyens à leurs idées. Si le collectif a fait l’objet d’une écoute attentive en mairies d’Auriol et de Roquevaire, il n’a pas encore croisé les décideurs d’Aubagne et de Marseille.
Pourtant c’est avec eux que la suite de la partie se jouera. En 2016, la métropole va unifier Marseille et Aubagne sous la même entité. Et donner au fleuve un symbole de trait d’union entre les territoires. Valérie Boyer, maire de secteur de Marseille (UMP) souhaite une opération de requalification urbaine type « Euromed ». En septembre 2014, 130 hectares ont été dédiés à des programmes immobiliers. La pression foncière plane sur le territoire. Pourtant, les dégâts provoqués par les crues dites trentennales de 1930, 1935 et 1978 devraient inciter à la prudence.
« Il faut arrêter de construire autour de l’Huveaune. A force d’artificialiser les sols, ils n’épongent plus l’eau de pluie qui ruisselle dans le fleuve. Si on continue, la crue centenale va faire mal », avertit Antoine Bennahmias. La bataille s’annonce longue avant que les politiques ne donnent les clefs aux jeunes urbanistes soucieux de la cité…
Eric Besatti