« Faire revenir les étudiants qu’on a chassés… »
Le socialiste Patrick Mennucci en avait rêvé, Jean-Claude Gaudin va-t-il le faire ? Transformer la Canebière en « quartier latin », avec un théâtre, un cinéma, des bouquinistes et… des étudiants. Mais aussi, en toile de fond, de la misère, de la prostitution… Regards croisés sur le logement étudiant et la gentrification avec Silvère Jourdan, docteur en géographie, et l’urbaniste Patrick Lacoste, de l’association « Un centre ville pour tous ».
Qu’est-ce que la gentrification ?
Silvère Jourdan : Un phénomène dont on parle depuis les années 60 où les logements autrefois habités par les ouvriers se retrouvent occupés par une autre population, plus aisée.
Patrick Lacoste : C’est un processus de remplacement, notamment en centre ville, des couches populaires par des habitants – artistes, artisans, les « nouvelles classes créatrices »… – qui viennent dans une première phase de conquête. Des « classes créatrices » qui sont elles-mêmes ensuite remplacées, dans une deuxième ou troisième phase, dans le cadre de processus d’aménagements concertés, impulsés par les pouvoirs publics ou spontanés.
Qu’en est-il pour Marseille ?
S.J. : On parle de gentrification quand on refait une façade ou quand il y a spéculation mais on se trompe. A Marseille, si la gentrification est observable à l’échelle de certains quartiers (dans le cinquième arrondissement notamment), elle est sporadique et diffuse. Principalement du fait d’une offre assez médiocre. Les « gentrifieurs » – en témoigne le phénomène des résidences fermées – préfèrent une localisation plus périphérique mais de meilleure qualité.
P.L. : A Marseille, le processus de gentrification n’en est qu’à la phase d’amorçage. Même si la volonté municipale de chasser les pauvres du centre ville est très ancienne, bien avant Gaudin.
L’implantation de logements étudiants, comme dans le haut de la Canebière, contribue-t-il à la gentrification ?
P.L. : Le « jeunisme » est l’un des moyens pour une municipalité de remplacer la population par des gens dont on pense que, même s’ils ne sont pas riches, ils amèneront une « diversité ». Voyez la rue Sénac, à côté de la Canebière : prenez un bloc, videz-le et faites du neuf avec 150 logements étudiants. Ou, rue de la République, avec ses 125 logements étudiants. Ce n’était pas la volonté initiale de la mairie. Mais avec la crise, les opérateurs se sont dit : « Mieux vaut faire quelque chose tout de suite avec du logement étudiant que de viser des couches aisées qui ne viendront pas. » Sauf que ce qui a été construit, ce n’est vraiment pas du logement étudiant social…
S.J. : Revitaliser une artère avec la création d’une résidence universitaire (et d’un restaurant), l’implantation d’un cinéma, ce n’était, à la base, pas une mauvaise idée : créer du résidentiel, du culturel et du loisir, ça change des centres commerciaux et des hôtels de luxe. Le problème, c’est que les résidences universitaires envisagées sont des résidences à loyer élevé. Or, à Marseille, seuls 60 % des étudiants quittent le domicile parental, contre 68 % en moyenne. Parce qu’ils n’ont pas beaucoup de ressources. Or, si l’on voit autant se développer ces résidences privées, c’est parce qu’elles permettent de défiscaliser et donc sont, pour les investisseurs, on ne peut plus rentables.
Au-delà, Marseille est-elle une ville étudiante ?
P.L : En s’en tenant aux chiffres, oui, puisqu’il doit y avoir environ 40 000 étudiants. Après, il y a un énorme déficit en matière de logements étudiants publics ou privés conventionnés. La répartition spatiale en dit long du regard de la ville sur les étudiants. S’il y a un campus à Luminy, c’était pour éloigner les étudiants contestataires de l’après mai 68 du centre. Aujourd’hui, on veut les faire revenir…
S.J : Marseille n’est pas une ville étudiante. Aix-en-Provence conserve encore les enseignements les plus prestigieux et concentre les plus grandes structures. Ce qui pose des problèmes, notamment de transport (lire ci-dessus). Mais on peut vivre correctement à Marseille en étant étudiant, le coût de la vie y étant moins élevé. Peut-être parce que, justement, ce n’est pas une ville étudiante…
Entretiens réalisés par Paola Baller et Leïla Khoulalène