le Ravi crèche à la fac
Un campus perdu au milieu des calanques, une fac dissimulée derrière la gare… La seconde ville de France chercherait-elle à cacher ses étudiants ? Comment s’étonner après de voir l’université fonctionner presque en vase clos à Marseille ? Il suffit pourtant de tourner le dos à la Bonne Mère, de traverser quelques voies de chemin de fer et de grimper les étages d’un bâtiment soviétique pour dénicher LA perle rare : la licence « Sciences & Humanités » !
Késako ? Un cocktail détonnant et étonnant : « 42 % de sciences et 58 % d’humanités », dixit la plaquette de ce cursus pas comme les autres puisque mariant sciences « dures » et sociales, enseignant, en trois ans, à une cinquantaine d’étudiants autant les mathématiques que la philosophie, la linguistique que les neurosciences. Un « ovni » à la fac où un prof de math, à la faveur d’un voyage à Florence, fera partager, double CD à l’appui, sa passion pour… les chants grégoriens !
Une expérimentation « made in » Marseille qui bénéficie d’un budget lui aussi hors du commun. Comme nous l’explique son responsable, Gaëtan Hagel, « cette licence est née lors du mouvement universitaire de 2009. On s’était collectivement opposé à ce que le pouvoir voulait faire de l’université. En organisant des choses comme le marathon des savoirs, avec des cours sur le Vieux-Port… Et l’on s’est retrouvés, enseignants-chercheurs venus de toutes les disciplines, pour réfléchir à la formation de nos rêves. Une formation qui associerait toutes les disciplines. Les sciences dures comme les sciences sociales. »
Un rêve de doux dingues qui sera d’abord retoqué pour être finalement accepté. Et qui se verra même crédité d’un « label d’excellence ». Au point que les « historiques » rêvent de voir se multiplier ce type de formation « dans les principales universités du pays ». De fait, la première fois que nous en avons entendu parler, ce fut à la faveur d’une enquête sur les « économistes hétérodoxes » en Paca. Et l’on sut que ce rêve était devenu réalité en apprenant qu’y intervenait… le président de la Tchatche, l’association éditrice du Ravi !
« La formation de nos rêves ? »
Or, parmi les thématiques abordées par cette licence protéiforme, il y a la question des médias et du journalisme. « Pas simplement parce que l’on voudrait préparer les étudiants à des concours mais parce qu’on souhaite qu’il y ait chez eux une réflexion sur l’écriture. Et ce, grâce à l’intervention de personnes extérieures à l’université », précise l’une des responsables de la licence, Marie-Laure Schultze.
Les étudiants ont donc eu droit à une dizaine d’heures de cours sur la presse et les médias, de la part de Sarah Ploquin-Donzenac qui, non contente d’être en charge de la com’ et de l’administratif, a été pendant dix ans « rédactrice en chef d’un magazine de sports extrêmes, explique cette adepte de la glisse. Avec eux, j’ai abordé avant tout les aspects économiques et pratiques. Comment ça marche un journal et, plus largement, les médias. Parce qu’ils sont loin d’être aussi critiques qu’on pourrait le penser sur la pub ou le fonctionnement d’internet… »
Et, comme s’en souvient Marie-Laure Schultze, c’est sur les conseils de Christophe Goby – fine plume de CQFD qui a fait découvrir aux étudiants les différentes facettes du journalisme – que la licence s’est rapprochée du Ravi. Pensez donc : un mensuel qui fait autant dans la satire et l’enquête que dans l’éducation populaire ne pouvait que taper dans l’œil de ce cursus « pas pareil ». Et puis, si on est capable de faire pousser des plumes dans le béton et de transformer des collégiens en caricaturistes, on allait bien réussir à faire écrire quelques étudiants !
En plein redressement judiciaire, le Ravi s’est donc chargé de transformer une dizaine d’étudiants en une rédaction à part entière. On se souvient encore, fin 2014, de leurs têtes lorsqu’ils ont découvert nos locaux et notre canard. Reste qu’une fois passées les présentations et une rapide initiation, il a fallu rentrer dans le dur.
Pas compliqué (encore que) de faire écrire des étudiants. Mais sur quoi ? Après avoir évoqué une ou deux thématiques, nous avons conclu que le mieux qu’ils avaient à nous offrir, c’était leur regard. Sur ce qu’ils connaissaient au premier chef, à savoir la fac, mais aussi, au-delà, sur la ville où ils étudient.
Pour le profane, l’université reste un univers mystérieux. Avec ses rites, ses codes. Mais, à travers les problématiques soulevées par notre dizaine de journalistes en herbe (logement, transports…), elle est également un formidable observatoire de notre ville et, plus largement, de notre région.
Parce que s’il est des villes dont l’identité estudiantine est palpable, c’est peu dire qu’il faudra plus que l’installation d’un cinéma et d’un restaurant universitaire pour transformer le haut de la Canebière en « quartier latin ». Mais comment s’en étonner de la part d’une municipalité qui, en témoignent ses derniers errements sur les rythmes scolaires, préfère mettre de l’argent dans le Vélodrome que dans l’école de ses mômes ? Une ville gérée par une bourgeoisie vieillissante pour qui la jeunesse n’est que maux.
Reste qu’on s’est parfois arraché le peu de cheveux qu’il nous restent. Difficile pour un journaliste en herbe de masquer le fait qu’il n’a pas vu grand monde en dehors de son écran d’ordinateur. Et comment garder son calme face à ce qui s’apparentait plus à une dissertation de collégien qu’à un article en bonne et due forme ? Sans parler de cette étudiante qui, dans un mail, lance : « L’écriture n’est pas trop ma tasse de thé »… Le résultat final n’en a pas moins fière allure. Et la bonne nouvelle, c’est qu’aucun de « nos » élèves ne compte devenir journaliste. Non qu’ils en seraient incapables. Au contraire. Mais quand on va à la fac, n’est-ce pas avec l’espoir, au minimum, de trouver, un jour, à la sortie, un vrai boulot ?
Sébastien Boistel (avec Michel Gairaud)
Ce texte a été publié en avril dans le Ravi n°129 pour présenter un cahier « spécial éducation » de 8 pages dont nous republierons prochainement certains articles…