La Marseillaise refuse de PC les bras
C’est un immeuble qui part en lambeaux, le siège marseillais d’un journal qui ne va pas mieux : La Marseillaise. Ce 16 mars, le personnel manifeste au pied de ce bâtiment qui, déjà, ne leur appartient plus puisqu’il a été hypothéqué fin 2012 pour 2,5 millions d’euros auprès de la Caisse d’Epargne. Depuis novembre, le quotidien, historiquement proche du PCF, est en cessation de paiement. S’ils manifestent, c’est parce que, malgré le millier de personnes venues soutenir le journal quelques jours auparavant au côté de Bernard Lavilliers, l’audience qui devait sceller leur sort a été reportée, aucune banque n’étant prête à soutenir l’une des deux offres de reprise qui s’affrontent. « Alors que tout le monde, après ce qui s’est passé à Charlie, parle de liberté d’expression, nous en appelons à l’Etat, au gouvernement, aux banques. Aux actes. », tonne le communiste Jean-Marc Coppola.
« Le problème, c’est qu’on cumule tous les handicaps, soupire Mireille Roubaud, du SNJ-CGT. On est une PME en difficulté. De surcroît, une entreprise de presse. Et, pour couronner le tout, marquée à gauche. Tout sauf une bonne affaire, donc. Mais le sort d’un journal, ça ne devrait pas se jouer devant un tribunal de commerce. Il en va du pluralisme ! »
Las, après 70 ans d’existence, La Marseillaise serait tombée sous la barre des 30 000 exemplaires. Avec un déficit frôlant les 2 millions, elle génère chaque mois près de 500 000 euros de pertes, la manne des collectivités locales – la faute aux élections et à la rigueur – ayant fondu. La baisse du nombre d’éditions, les départs plus ou moins volontaires de dizaines de journalistes (dont Philippe Pujol, prix Albert Londres) n’ont donc pas servi à grand-chose. Sinon à voir les tâches de ces derniers exploser. Et ce, sans être payés au minimum syndical !
En novembre, La Marseillaise s’est donc déclarée en cessation de paiement. Mais, au lieu de placer le titre en redressement, le tribunal lui a intimé l’ordre de se trouver un repreneur ! Aussitôt, les communistes viendront à la rescousse, avec l’offre des Fédérés, pilotée par le patron de la « fédé » des Bouches-du-Rhône, Pierre Dharréville. Un ancien de l’Huma qui, autre fait d’arme, a aussi enterré Pif Gadget après avoir tenté de le faire renaître.
Un repreneur hostile ?
Si, au PCF, on jure qu’il n’y a pas là « reprise en main », ce qui est préconisé, c’est une vraie purge : une centaine de licenciements sur 208 postes, la fermeture d’une dizaine d’agences (sur 16) et de l’imprimerie (au profit de Riccobono). Ne restera plus que « trois éditions » d’un journal « engagé, populaire, rebelle » qui doit « redevenir innovant ». Quand on l’interroge sur une éventuelle amélioration du volet social, Pierre Dharréville est sans détour : « On ne veut pas donner de faux espoirs… »
« L’offre des Fédérés supprime la moitié des emplois. Nous, on veut tout sauver ! », réplique Jean-Marc Adolphe, fondateur de la revue Mouvement, lors d’une soirée début février au Toursky. L’accueil est glacial : « Reprendre un journal, ce n’est pas un jeu », tonne Alain Hayot, le monsieur « Culture » du PC. Quant à la CGT, elle masque à peine son hostilité. Pourtant, cette offre qui veut faire du journal une « agora » et le partenaire des manifestations culturelles de la région, ambitionne de garder non seulement les rotatives mais aussi la totalité des journalistes, en ne supprimant qu’une soixantaine de postes.
« L’offre est séduisante mais ils n’ont pas les moyens de leurs ambitions », déplore un syndicaliste. « Si ce sont eux qui mettent la main sur La Marseillaise, le journal ne tiendra pas deux jours. Ils perdront et la pub et les lecteurs », assène un membre de la direction. Même son de cloche des amis de La Marseillaise, parties prenantes des Fédérés : « Ceux qui donnent sont attachés à ce journal. Avec son histoire. Et cette ligne », tonne Serge Baroni, avouant à moitié que les dons récoltés ne profiteront qu’aux Fédérés. Et Coppola d’enfoncer le clou : « Je me demande qui pilote cette offre ? »
Oscillant entre presse et culture, les Nouvelles éditions de La Marseillaise (NEM) sont nées en marge du colloque « la presse, ça presse », organisé à Arles par Marc Jacquin, homme de radio n’ayant supporté ni la disparition du César, ni les difficultés du Ravi et de La Marseillaise. L’offre alternative rassemble donc journalistes, écrivains, cinéastes. Mais aussi des entrepreneurs. Ainsi que David Grzyb, le chef de file du PS arlésien : « J’y suis en tant que président du parc de Camargue », corrige aussitôt ce proche de l’actuel patron de la région Paca, Michel Vauzelle.
Alors certes, son capital social est inférieur à celui des Fédérés, elle n’a guère de fonds propres et ses appuis semblent moins solides mais le crime des « NEM », c’est peut-être d’avoir mis les pieds dans le plat. En tête : un article du Figaro qui oppose une offre voulant garder le titre « sous l’emprise du PC » à une autre ambitionnant d’en faire « un vrai journal ». Et qui liste des dépenses – « de voyages (625 000 €), de téléphone (145 000 €), de location de voitures (90 000 €), de relations publiques (310 000 €) » – attribuées « pour certaines » aux « permanents du PC » ou aux « cadres dirigeants ». Si ces lignes figurent bien dans les comptes – comme celle de « 577 692 » euros au titre de la « propagande internationale » -, côté direction on serre les dents : « C’est totalement faux, c’est de la calomnie. » Et, au PC, on estime qu’on frôle là la diffamation.
Mystérieuse diffusion
Sauf qu’en interne, la perspective d’une alternative a ouvert, pour certains, une brèche. Comme dans les agences où les journalistes, véritables variables d’ajustement, en ont marre des journées interminables, de prendre leur « voiture personnelle » pour les déplacements ou encore de « l’absence d’autocritique ». Et bien sûr à l’imprimerie, les rotatives étant presque accusées d’être bonnes pour la casse alors que le dernier rapport de l’inspection du travail est loin d’être accablant. Qui plus est dans un journal qui, en 2012, a emprunté 140 000 euros pour se payer une rotative en valant plus du double. Or, 300 000 euros, ce sera le coût de l’extraction des rotatives du bâtiment…
« Je plains ceux qui vont partir mais aussi ceux qui vont rester, lâche un journaliste. Pas seulement parce qu’en rognant sur la proximité, en se repliant sur elle-même, La Marseillaise va perdre et ses lecteurs et les annonceurs. Mais surtout parce qu’on prend les mêmes et on recommence. » Figure ainsi parmi les « Fédérés » Michel Montana, le patron du « Mondial La Marseillaise à pétanque » (et propriétaire, à titre individuel, d’une marque éponyme), une manifestation dont les subventions dépassent le million d’euros. Et à laquelle chacun, au journal, contribue.
Au-delà de la crise de la presse, ce que révèle l’affrontement entre ces deux offres, c’est la souffrance dans une entreprise où, en 2013, la CGT se fendait d’un cahier de doléances – « Pour construire la Marseillaise de demain » – resté lettre morte. Un journal si profondément en crise que « même la diffusion est un mystère ». Non certifiée par l’OJD, l’organisme de contrôle, d’aucuns soupçonnent qu’elle pourrait même être deçà des chiffres avancés pour bénéficier des aides à la presse.
Avec 3 millions d’euros de ventes en kiosque en 2014, rapporté au prix facial, on serait plus proche de 7 500 exemplaires par jour que des 18 000 avancés pour l’aide au pluralisme. Quant aux abonnements, sur le même raisonnement, le titre n’en compterait non 12 000 mais 3000. Si, à la direction, on assure qu’« il n’y a pas tricherie », dans les bureaux parisiens du ministère de la Communication, on nous confirme « être au courant » et regarder cela de « très près ».
En attendant, malgré les réunions en préfecture ou avec le « commissaire au redressement productif », malgré le vote lors du dernier CE en faveur des Fédérés, pas une banque n’a pour l’heure accepté de soutenir l’une des deux offres. Refusant, pour certaines d’y aller seules, demandant, comme d’autres, une augmentation du capital. Ou reconnaissant ne plus vouloir investir dans la presse. Après un ultime report d’audience et le déblocage d’un fonds de « 350 000 euros », le tribunal de commerce devait se prononcer le 7 avril. Et si certains ne donnent « pas plus d’un an » au journal, de plus en plus craignent sa « liquidation pure et simple ». Surtout que, même s’il ne faut jamais se fâcher avec le « grand frère communiste », les élections seront passées… Alors, ce 27 mars matin, les salariés sont à la gare Saint-Charles : « La Marseillaise va mourir, aidez-nous », clame une journaliste, en tendant ses tracts. Gratuits à la main et regard dans le vague, les voyageurs passent sans la voir.
Sébastien Boistel