Sanofi-Sisteron : les miettes de la prospérité
Pour fêter la victoire, les Sanofi ont sorti l’apéro devant leur usine. Du haut des quelques marches qui mènent aux locaux du comité d’entreprise, les élus CGT prennent la parole devant une trentaine de salariés du site Sanofi-Chimie de Sisteron (04). « On a réussi à obtenir ce qu’on voulait grâce à votre unité », se félicite Sylvain Moretti. Après 5 semaines de lutte, les salariés postés de l’usine ont arraché 80 euros supplémentaires de prime, trois embauches et la possibilité de transformer les heures de grève en congés. Pourtant ils n’étaient pas des experts de la lutte ! Beaucoup n’avaient jamais fait grève et très peu sont syndiqués. Depuis la fin du conflit, la CGT ne revendique que deux nouvelles adhésions.
Il est presque 13 heures. Pendant que certains restent discuter autour d’une paella et d’un génépi « bio », d’autres doivent reprendre le travail. Le mouvement concernait uniquement les 180 « postés », dont seulement 3 femmes, sur les 600 salariés du site. Leur charge : « remplir et surveiller de grosses cocottes minutes dans lesquelles sont fabriqués les principes actifs des médicaments », explique André (1). La métaphore culinaire cache un travail au contact d’ingrédients dangereux : le brome, le chlorure de thionyle et toutes sortes d’acides et de solvants. « Mais on a des tenues de protection, ils ne rigolent pas avec ça », précise Pierre, depuis 13 ans à Sanofi. C’est surtout le rythme de travail qui use. Une partie des salariés postés est en 5-8. Pas de jour de congé fixe, trois week-ends travaillés par mois et des horaires variables au cours de la semaine. « On peut commencer par du 5h-13h puis être d’après-midi le mercredi et finir jeudi et vendredi avec des horaires de nuit », explique Pierre. Lui dit bien supporter le rythme. D’autres se sentent profondément épuisés après plusieurs années de travail posté. Un sacrifice qui leur permet, grâce aux primes, de toucher un meilleur salaire. Autour de 2000 euros en début de carrière. Jusqu’à 3500 euros pour un chef de poste.
Mais il y a deux ans, la direction annonce la fin de l’augmentation annuelle générale des salaires. En 2014, c’est l’enveloppe dédiée aux négociations individuelles qui est divisée par deux. « Si encore on était en déficit, mais là on brasse des milliards, s’énerve Gilles, "pas encore" syndiqué à la CGT. Au départ, on demandait 120 euros. C’est juste ce qu’on nous a volé. » Le mouvement est d’abord peu populaire à Sisteron. « Des femmes de ménage sont venues nous dire qu’on était des privilégiés », rapporte Thierry.
Le 3 mars dernier, France 2 fait basculer l’opinion. Le grand public découvre dans Cash investigation (2) les 4 millions de « prime de bienvenue » du nouveau patron, Olivier Brandicourt, et les 3,5 milliards d’euros redistribués aux actionnaires. « C’est bien tombé, reconnaît Gérard (1), les gens nous ont donné raison. » Salarié de l’usine depuis 32 ans, il estime que tout a changé depuis la fusion avec Aventis en 2004. « Avant c’était plus familial, on nous écoutait. Maintenant il n’y a plus aucun respect pour les salariés. »
Pour 2014, l’un des objectifs de l’entreprise était de redistribuer 50 % des bénéfices aux actionnaires (2). Au détriment des salaires… et de l’investissement. « Sanofi ne veut plus entreprendre, ce sont devenus des financiers », note Jean-Louis Peyren, délégué CGT. Pierre le ressent au quotidien. « Il y a quelques années, il suffisait de signaler une vanne défectueuse pour qu’elle soit réparée dans la journée. Maintenant, les problèmes sont classés par priorité et traités dans cet ordre. » Il évoque des coupes dans le budget de maintenance. Des informations que nous avons voulu vérifier en joignant le responsable de la communication du site de Sisteron. Ce monsieur très débordé était à chacun de nos coup de fil « en réunion », « en déplacement à Paris », « en rendez-vous », ou plus simplement « pas là ». Devant notre insistance, Stéphane Dutal s’est quand même senti obligé de nous envoyer un mail : « Nous ne souhaitons pas nous exprimer. » Tant pis. Nous n’en saurons pas plus non plus sur l’incinérateur de l’usine, rendu inutilisable en septembre 2013 par un incendie. Depuis, le site fonctionne grâce à une dérogation de la préfecture et brûle ses déchets ailleurs dans la région, notamment à l’incinérateur de Fos-sur-Mer. Selon la CGT, l’argent nécessaire n’a pas encore été débloqué par la maison mère. « La dérogation prend fin en juin prochain, alerte Sylvain Moretti. Sans incinérateur, le site fermera. » La CGT vient de lancer une pétition pour la construction d’un nouvel équipement qui permettrait de pérenniser le site. A Sanofi-Sisteron, la lutte continue.
Margaïd Quioc
(1) Le prénom a été changé.
(2) Cash investigation, « Quand les actionnaires s’en prennent à nos emplois ».